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strictement gardé à l’égard des événemens si graves qui venaient de se passer à Savone a dérouté tous les contemporains du premier empire. Il ne leur a point permis de saisir parfaitement les motifs des scènes orageuses, des péripéties étranges qui se déroulaient sous leurs yeux, ni de rien comprendre surtout au brusque dénoûment du drame, car le nœud même de l’action leur échappait, et, pour se reconnaître dans ce labyrinthe de contradictions, aucun d’eux ne possédait le fil conducteur qui a été mis entre nos mains par la correspondance de M. de Chabrol. Le vague instinct qu’ils ignorent quelque chose d’important à connaître se fait jour chez la plupart des écrivains qui ont parlé même brièvement de cet épisode de l’histoire ecclésiastique de France, et leur embarras est parfois extrême. Il est visible chez M. Jauffret, frère de l’abbé Jauffret, nommé par l’empereur à l’évêché de Metz en 1806, et plus tard à l’archevêché d’Aix. M. Jauffret, ancien chef du secrétariat de M. Portalis au ministère des cultes, devenu bientôt secrétaire-général du même département sous M. Bigot de Préameneu, esprit sobre et sagace, d’ordinaire parfaitement informé, n’a pas consacré moins de trois volumes aux affaires intérieures de l’église de France pendant les premières années du XIXe siècle. Dans ces volumes, remplis de renseignemens fort exacts, M. Jauffret se montre tout à coup très perplexe quand il en arrive à l’ouverture du concile de 1811, et les réflexions, du reste fort sages, par lesquelles il entame son sujet, démontrent qu’il ne possédait à aucun degré le secret des scènes affligeantes racontées par le préfet de Montenotte. « D’après la note rédigée à Savone, Pie VII, remarque M. Jauffret, consentait à instituer les nouveaux évêques et à investir les métropolitains du pouvoir de confirmer en son nom ceux qu’il n’aurait pas institués lui-même dans les six mois de leur nomination pour des causes autres que leur indignité personnelle. L’intervention du concile devenait donc inutile[1]. » Ainsi le principal employé du ministère des cultes sous l’empire, celui qui par la nature de ses attributions aurait dû, si de pareilles confidences avaient été possibles, être le mieux instruit de toutes choses, ne savait même pas encore en 1823, époque de la publication de ses Mémoires, comment le malheureux Pie VII avait été momentanément conduit à accepter la note laissée entre ses mains, et comment à l’heure de la convocation du concile il ne songeait plus qu’à la désavouer hautement. L’abbé de Pradt, cet intermédiaire si zélé que l’empereur allait activement employer dans les négociations les plus secrètes et les moins avoua-

  1. Mémoires historiques sur les affaires ecclésiastiques de France pendant les premières années du dix-neuvième siècle, t. II, p. 433.