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se servir de la religion pour troubler l’état, ni qu’ils prêchassent une fausse doctrine, ni qu’ils alarmassent la conscience de ses sujets, ni qu’ils cherchassent à détruire l’épiscopat, et que par des intérêts temporels ils apportassent ainsi des ébranlemens à la religion… La religion était le bien de tous les peuples, de toutes les nations. Aucune localité, aucun homme, aucune dignité, aucun corps ne peut avoir le droit de l’obscurcir, de la faire tourner à son profit en confondant les idées les plus simples du temporel et du spirituel, et en mettant l’incertitude dans les consciences qui ne seraient pas dirigées par les évêques. »

En vérité, si la confusion du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, fâcheuse partout, s’étala jamais quelque part dans toute sa bizarre anomalie, c’est bien à coup sûr dans cet étrange langage, tenant à la fois de la polémique et du sermon, qu’un tout-puissant conquérant qui avait renversé la tribune et qui aspirait à se rendre maître de la chaire faisait publiquement tenir par son ministre des cultes aux évêques de son empire réunis par ses ordres en concile national. L’effet fut énorme. « Ce message, dit M. Jauffret, jeta la consternation parmi les prélats, qui jusqu’alors s’étaient flattés d’un rapprochement entre les deux pouvoirs[1]. »

Il n’y avait plus en effet d’illusion à se faire. Le cardinal Fesch, qui voyait ses prévisions les plus sombres vérifiées par l’attitude désespérée des membres de l’assemblée, avait hâte de lever la séance de peur d’y voir éclater quelque orage. Cependant, conformément aux instructions reçues de son neveu, il fallait qu’avant de quitter la salle il fît nommer par les pères du concile plusieurs commissions importantes que l’empereur était pressé de voir entrer en exercice. Le cardinal s’était flatté d’en désigner lui-même les membres ; mais l’assemblée, mécontente des paroles qu’on venait de lui faire entendre et mise de plus en plus en défiance contre son président, refusa cette fois encore d’accéder à son désir. Elle réclama le droit, difficile à lui contester, de procéder elle-même à ces choix par la voie du scrutin secret. En vain trois ou quatre des prélats connus pour leur dévoûment à la personne de l’empereur s’y opposèrent tant qu’ils purent. Le cardinal, qui n’était pas entré aussi ardemment qu’eux dans les desseins de Napoléon, laissa au contraire passer la motion sans mot dire, et depuis, malgré tous les efforts tentés par le parti de la cour, jamais le concile ne voulut revenir sur sa décision. « Sans doute, dit une relation manuscrite que nous avons sous les yeux, il était fâcheux que des évêques, qui devraient dans tous les temps être assez

  1. Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des premières années du dix-neuvième siècle, t. II, p. 440.