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faune. Les pachydermes, les ruminans, y étaient richement représentés. D’innombrables antilopes appartenant à diverses espèces distinctes paissaient à côté des hipparions, de deux espèces de mastodontes, de deux espèces de girafes, que dominait de toute sa masse le gigantesque dinothérium, le plus grand des mammifères terrestres qui ait jamais vécu. « Ce géant du vieux monde, à la fois puissant et pacifique, que nul n’avait à craindre, que tous respectaient, était vraiment la personnification de la nature calme et majestueuse des temps géologiques… Ainsi, ajoute M. Gaudry, il n’y avait pas concurrence vitale ; tout était harmonie, et celui qui règle aujourd’hui la distribution des êtres vivans la réglait de même dans les âges passés. »

Pas de concurrence ! pas de lutte pour l’existence ! Hélas ! un pareil âge d’or n’a jamais été possible. Oublions, si l’on veut, ces carnassiers qui tempéraient ce que la fécondité des herbivores a d’excessif par des procédés évidemment semblables à ceux qu’emploient encore les tigres et les lions ; négligeons les conditions diverses imposées au règne végétal tout entier par le climat, par l’atmosphère, par le sol ; ne parlons pas des luttes entre plantes, quelque incessantes qu’elles aient dû être alors comme aujourd’hui ; la paix régnait-elle pour cela ? Ces verdoyantes prairies que se disputaient les représentans de cette ancienne faune n’étaient-elles pas en guerre perpétuelle précisément avec ces pacifiques herbivores dont M. Gaudry a retrouvé les restes ? Ces herbivores eux-mêmes échappaient-ils à la lutte ? Non. La rareté, l’absence même de tout être destructeur par nature n’arrête pas la bataille de la vie. Pour que celle-ci existe, il n’est nullement nécessaire qu’il y ait des mangeurs et des mangés. Elle a certainement régné à Pikermi comme ailleurs. En somme, cette terre ressemblait assez à ces grandes solitudes de l’Afrique australe dont Le Vaillant, Livingstone, Delegorgue, ont tracé de si magnifiques tableaux. Entre l’Orange et le Zambèze, le mastodonte et l’hipparion sont représentés, peut-on dire, par l’éléphant et le couagga. Des troupeaux composés de milliers d’antilopes errent encore dans ces solitudes. Or un voyageur français, Delegorgue, nous apprend ce qui se passe lors des migrations des euchores. Les bandes en sont si nombreuses que les têtes de colonne seules profitent de la végétation luxuriante du pays ; le centre achève de brouter ce qui reste ; les derniers rangs ne trouvent plus qu’une terre nue, et sous les étreintes de la faim jalonnent la route de cadavres. Voilà bien la lutte pour l’existence chez une de ces espèces que nous prendrions pour type de l’animal inoffensif, et la voilà d’autant plus terrible, comme l’a justement dit Darwin, qu’elle s’exerce entre des êtres semblables, ayant par conséquent à satisfaire les mêmes besoins. Voilà aussi la