Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donner par l’ordre qui règne dans l’univers, les deux adversaires se séparaient sur la question de la liberté divine. Newton soutenait que Dieu, infiniment libre comme infiniment puissant, a fait toutes choses sans autre raison que sa seule volonté. Par exemple, que les planètes se meuvent d’occident en orient plutôt qu’en sens inverse, que les animaux, que les étoiles, les mondes, soient en tel nombre plutôt qu’en tel autre, ce sont là des choses dont la volonté de l’être suprême est la seule raison. Leibniz, se fondant sur cet ancien axiome que « rien ne se fait sans cause ou sans volonté suffisante, » prétendait que Dieu avait été nécessairement déterminé à faire en tout le meilleur. Il n’y a pas de meilleur, disait Clarke, dans les choses indifférentes. — Mais il n’y a pas de choses indifférentes, répondait Leibniz. — Votre idée mène à la fatalité absolue, disait le philosophe anglais; votre Dieu est un être qui agit par nécessité. — Le vôtre, répondait le philosophe allemand, est un ouvrier capricieux qui se détermine sans raison suffisante. — En somme, ajoutait Voltaire par manière de conclusion, l’étude de l’univers nous montre bien qu’il y a un Dieu; mais elle est impuissante à nous apprendre ce qu’il est, ce qu’il fait, comment et pourquoi il le fait, s’il est dans le temps, s’il est dans l’espace, s’il a commandé une fois, s’il est dans la matière, s’il n’y est pas : il faudrait être lui-même pour le savoir. — Si la question de la liberté divine demeure obscure, celle de la liberté humaine n’est pas plus claire. Suivant Newton et Clarke, l’être infiniment libre a communiqué à l’homme, sa créature, une portion limitée de cette liberté, de telle sorte qu’il peut vouloir, au moins de temps en temps, sans autre raison que sa volonté; mais c’est là un point de vue auquel refuse de se placer l’auteur du système de la raison suffisante.

Sur la constitution de l’homme, c’est-à-dire sur les rapports de l’âme et du corps, Leibniz avait émis sa théorie bizarre de l’harmonie préétablie. Cette théorie avait une sorte de précédent dans le système des causes occasionnelles imaginé par Descartes et développé par Malebranche. Suivant Malebranche, l’âme ne peut pas avoir d’influence sur le corps ni réciproquement. Qu’arrive-t-il donc? La matière, comme cause occasionnelle, fait une impression sur notre corps, et alors Dieu produit une idée dans notre âme. Réciproquement l’homme produit un acte de volonté, et Dieu agit immédiatement sur le corps en conséquence de cette volonté. Tous les actes humains ont ainsi Dieu pour intermédiaire, l’homme n’agit et ne pense que par une sorte de réflexion en Dieu. Leibniz résolvait le problème d’une façon encore plus bizarre. « Dans son hypothèse, dit Voltaire, l’âme n’a aucun commerce avec son corps; ce sont deux horloges que Dieu a faites, qui ont chacune un ressort, et qui