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soupçonné de ravitailler l’insurrection crétoise. De son côté, le gouvernement hellénique, cédant à l’exaltation populaire, expédiait aussitôt à Syra un navire, heureusement devancé par un bâtiment français dont l’apparition a suffi pour écarter les chances d’une collision plus grave. Sur ces entrefaites, la diplomatie est intervenue pour tempérer cette humeur belliqueuse, et au demeurant les hostilités se sont bornées jusqu’ici à quelques coups de canon, envoyés par Hobart-Pacha contre ce redoutable Enosis, qui en d’autres circonstances aurait bien pu mettre le feu au monde. Le conflit n’est point assurément terminé, puisque les adversaires restent en présence ; on peut dire cependant qu’il est provisoirement entré dans une phase d’apaisement par cela seul que les puissances européennes l’ont évoqué devant elles, comme elles en avaient le droit de toute façon, par leur titre de protectrices de la Grèce, en vertu du traité de 1856 et en fin de compte par cette considération supérieure qui domine toutes les autres, l’intérêt de la paix européenne. Aujourd’hui ce différend est passé sous la juridiction d’une conférence qui doit se réunir à Paris, comme toutes celles qui ont été appelées, depuis la guerre de Crimée, à délibérer sur des questions analogues dès qu’elles ont pris un caractère un peu général ; du reste ce choix de Paris semble avoir été fait en quelque sorte spontanément, sans nulle objection d’aucun côté. L’idée de la réunion d’une conférence, quoiqu’elle dût naître évidemment dans tous les esprits, est venue de la Prusse, de M. de Bismarck, qui dans toute cette affaire s’est conduit en honime tenant à témoigner son zèle pour la paix. La dernière adhésion restée un moment incertaine, celle de la Russie, ne fait plus de doute aujourd’hui.

Ce n’était pourtant pas aussi facile qu’on le croirait de rassembler ce conseil des puissances. Deux questions au moins délicates s’élevaient tout d’abord. La première, c’était la question même de l’admission de la Grèce. La Grèce prendrait-elle part à la conférence, et à quel titre y figurerait-elle ? Le gouvernement hellénique, puisqu’il était en cause, voulait naturellement assister à la délibération au même titre que le gouvernement ottoman. La Turquie de son côté ne voulait point du tout de la présence de la Grèce, et chacun des adversaires avait ses alliés ou ses partisans. L’Autriche, l’Angleterre, s’en tenant strictement aux traités, penchaient pour la Turquie. La Russie, on. le comprend, soutenait la Grèce dans sa prétention. La France a pris le rôle de conciliatrice, et le résultat a été que la Grèce serait admise à la conférence avec voix consultative. Autre question préliminaire d’où dépendait la réunion de la conférence : sur quoi délibéreiait-on ? Ne se laisserait-on pas aller par une pente naturelle à scruter les causes supérieures du conflit, à interroger les rapports généraux de l’empire ottoman et du jeune royaume hellénique ? Ici encore la difficulté était épineuse. La Turquie voulait avant tout que le cercle de la délibération européenne restât nettement défini, qu’on ne s’écartât pas des points précis de son ultimatum. L’An-