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de ces agitations nouvelles de la péninsule. Le fait est que la révolution espagnole ne semble pas près d’un dénoûment, et ce qu’on prendra pour un dénoûment ne sera peut-être que le commencement de complications plus redoutables, plus inextricables, tant les impossibilités s’accroissent à vue d’œil. Pour le moment, les partis restent en présence. Ils se sont entre-choqués récemment avec violence dans cette insurrection qui est demeurée maîtresse de Cadix pendant quelques jours. L’insurrection a fini par une sorte de transaction à l’approche des forces militaires conduites par le général Caballero de Rodas, mais les partis se sont retrouvés en lutte dès le lendemain dans les élections municipales, qui sont comme le préliminaire des élections pour les cortès constituantes. Or quel est le sens de cette première manifestation du suffrage universel au-delà des Pyrénées ? Les partisans de la monarchie constitutionnelle ont eu certainement une immense majorité. Il n’y a point à le nier cependant, le parti républicain a eu des avantages qu’on ne prévoyait guère, et sur lesquels il ne comptait pas lui-même. Il a eu sur certains points, et notamment dans quelques-unes des principales villes, sauf Madrid, de tels succès, si incontestés, qu’ils ne s’expliquent que par l’abstention de toutes les autres opinions. C’est là en effet un des côtés graves de ces élections, et on pourrait le dire d’une façon plus générale de la situation de l’Espagne. Les opinions modérées, soit par inertie naturelle, soit par calcul, n’ont montré aucun empressement à courir au scrutin, et c’est ce qui fait que les succès du parti républicain sont moins décisifs qu’on ne le croit, que les avantages du parti monarchique sont encore plus sérieux qu’ils ne le paraissent. Quoi qu’on fasse, il y a toujours au-delà des Pyrénées une masse compacte, muette, qui reste, par habitude si l’on veut, par tradition, par instinct, essentiellement attachée à la monarchie, et ce serait une méprise bien étrange de croire que le tempérament d’une nation peut changer en trois mois, qu’un vrai parti républicain peut se former tout d’un coup, rallier la majorité d’un pays par un prodige d’intuition.

Ce qui cause cette illusion d’optique au-delà des Pyrénées, ce qui pourrait bien du reste à la longue faire sortir d’une telle situation un dénoûment qui eût été imprévu il y a quelque temps, et qui serait assurément peu durable, c’est que le parti républicain, quoique peu nombreux, est jeune, hardi, passionné, remuant ; il a pour lui la complicité de tous les instincts d’agitation. Il sait de plus ce qu’il veut ; il se divisera demain, aujourd’hui il veut la république fédérale, c’est le drapeau sous lequel il marche. Le parti monarchique au contraire ne sait pas ce qu’il veut, ou du moins, s’il veut la royauté, il ne sait à quel prince porter cette couronne en déshérence. Il flotte entre toutes les combinaisons, et nous assistons en vérité à un spectacle qui serait risible, s’il ne pouvait devenir tragique un de ces jours : c’est la comédie des candidatures à la couronne espagnole. Il manquait jusqu’ici un candidat qui n’avait pas