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dont la république des États-Unis offrait seule alors le modèle : séparation presque complète de l’église et de l’état, liberté et égalité des cultes, droit illimité de réunion et d’association, liberté complète de l’enseignement, de la parole, de la presse. Quand on voyait toutes ces libertés accordées non à une nation assise sur une base solide et traditionnelle, comme l’Angleterre, mais à un pays en voie de formation, sortant d’une révolution, renfermant deux nationalités distinctes, flamands et wallons, deux partis inconciliables, libéraux et catholiques, des républicains et des orangistes aspirant à la restauration de la dynastie déchue, certaines appréhensions étaient très naturelles. Et pourtant cette constitution qu’on accusait d’être trop républicaine subsiste encore, tandis que celles de la plupart des autres états ont été renversées ou profondément modifiées. Partout les constitutions qui font la plus grande place à la liberté durent le plus longtemps. Les plus anciennes sont celles de certains états de la Nouvelle-Angleterre où se trouvent inscrits les fameux principes de 89, antidatés de deux cents ans. La raison de ce fait n’a pas besoin d’être longuement développée. À mesure que les hommes s’éclairent, ils prétendent subir moins de contrainte et prendre une part plus décisive au maniement des affaires publiques, parce qu’ils y voient mieux et souffrent moins qu’on les dirige mal. Les constitutions qui accordent trop de pouvoir au souverain ou trop d’empire à la compression ressemblent à des vêtemens trop étroits qu’un adolescent fait éclater par sa naturelle croissance. Au contraire les constitutions perfectibles comme celle de l’Angleterre, ou consacrant de bonne heure toutes les libertés comme celles des états américains et de la Belgique, sont longtemps respectées, parce que le mouvement démocratique qui porte en avant les sociétés chrétiennes peut s’y développer à l’aise, sans avoir d’obstacles à vaincre ou de privilèges à anéantir.

Léopold se décida enfin à accepter la couronne qu’on lui offrait, après que la conférence de Londres eut admis dans le traité des dix-huit articles du 26 juin 1831 que la question du Luxembourg était distincte de la question hollando-belge, et que durant le litige les Belges garderaient le grand-duché, qu’ils occupaient, sauf la forteresse même. Le choix de Léopold devait satisfaire à la fois les deux puissances protectrices du nouveau royaume, car d’un côté, par ses antécédens, par ses idées, par ses relations, il pouvait être considéré comme un prince anglais, et de l’autre, par son mariage projeté avec une fille du roi Louis-Philippe, il allait s’allier par un lien très intime à la dynastie française. L’affermissement de la Belgique était d’un avantage inappréciable pour la France. On conçoit que l’Europe vit avec regret se disloquer ce beau royaume des