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plus que l’autre. La royauté devant être irresponsable, il la maintenait dans une sphère supérieure où les luttes du forum ne venaient point troubler son impartialité olympienne. Appelé à agir de concert avec des hommes d’opinion opposée, il évitait soigneusement tout ce qui pouvait rendre moins faciles ses rapports avec les uns ou avec les autres. Au fond, de quel côté penchait-il ? Aucune parole, aucun écrit émané de lui n’est venu le révéler. Ses instincts de tory, ses souvenirs de prince allemand l’inclinaient probablement vers les catholiques, qui devaient représenter à ses yeux le parti conservateur et aristocratique ; mais sa perspicacité lui faisait voir que les principes du libéralisme répondent mieux aux besoins de notre époque.

Si le roi Léopold recommandait volontiers aux deux partis la modération, il connaissait trop bien les conditions de gouvernement des assemblées électives pour demander la fusion des deux opinions rivales. Il tenait plutôt à ce que chacune d’elles restât strictement fidèle à ses principes, afin qu’il y eût en présence deux groupes d’hommes représentant deux tendances qui pussent tour à tour exercer le pouvoir avec dignité. En 1864, l’un des chefs du parti catholique pour lequel il avait toujours montré beaucoup de goût et d’estime lui ayant présenté un programme ministériel radical, le roi préféra s’adresser à ses adversaires. « Ce que vous me dites, répondit-il à M. Dechamps, est très sensé, très séduisant même ; mais si vous, conservateurs, vous vous lancez dans un steeple-chase démocratique avec les libéraux, où cela nous conduira-t-il ? » Le roi avait raison : quand tout un parti agit contrairement aux principes sur lesquels il repose, ce ne peut être qu’une faute ou un piège. Des deux façons, le frein dont a besoin le gouvernement représentatif disparaît. Récemment l’Angleterre s’est scandalisée, non sans motif, de voir des réformes démocratiques opérées par les mains du chef des conservateurs, M. Disraeli. Sans doute les partis se transforment peu à peu, à mesure que le terrain du combat se déplace ; mais un brusque changement doit toujours être suspect.


II.

Dans la plupart des discours publics adressés au roi Léopold, on lui a fait un grand mérite d’avoir été fidèle au serment qu’il avait prêté à la constitution. Cet éloge, je ne le répéterai point, dans la crainte de faire injure à sa mémoire. En quel temps étrange vivons-nous donc pour qu’on croie devoir louer un souverain d’avoir fait ce que commande l’honnêteté la plus vulgaire ? Il a fait plus que tenir sa parole ; il a agi dans l’esprit de la constitution avec un tel scru-