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teindre les pôles nous est devenue familière. Sans prétendre à gagner le centre de la terre, nous savons tout le prix des fouilles géologiques. La spécialisation des études médicales est devenue une conséquence des progrès de la science ; nous sommes habitués à voir de grands praticiens se circonscrire dans une seule branche de la pathologie. Enfin les questions relatives à la génération spontanée étaient encore assez incertaines au milieu du XVIIIe siècle pour que Maupertuis pût sans déraison se déclarer hétérogéniste, et nous pouvons même ajouter que nous ne les regardons pas encore, à l’heure qu’il est, comme tellement tranchées qu’on ne puisse avec honneur combattre dans les deux camps opposés.

En somme, la Diatribe du docteur Akakia nous montre Voltaire tel que nous le retrouverons dans tout ce qui touche à ces sciences qu’on appelle plus particulièrement les sciences naturelles. Il faut faire la part, et une grande part, à son animosité contre Maupertuis : elle l’aveugle et lui fait dépasser le but ; mais à côté de ce motif d’exagération nous trouvons chez lui cette tendance à laquelle il sera fidèle quand il traitera de sang-froid des sciences naturelles, cette aversion prononcée pour toute explication systématique des phénomènes. Il réagit contre l’habitude invétérée qui portait les savans de son siècle à ne regarder la nature qu’à travers des théories. Dès qu’on tente d’expliquer les faits, il se défie et se rebiffe. Au reste, nous le verrons tout à l’heure juger plus explicitement quelques-uns des sujets qu’il ne fait ici qu’effleurer, et nous pourrons mieux indiquer ce qu’il y a de juste et ce qu’il y a d’exagéré dans cette tendance que nous signalons à propos de sa querelle avec Maupertuis.

À l’époque où Frédéric fit brûler juridiquement la Diatribe d’Akakidy les rapports étaient déjà tendus entre le roi et le philosophe. Celui-ci avait grand soin de placer ses fonds hors de Prusse, et le roi, qui le savait, ne voyait pas cette précaution sans dépit. D’un autre côté, un propos déplaisant du roi était venu aux oreilles de Voltaire. Comme on se plaignait de la faveur du nouveau chambellan : « Laissez faire, avait dit Frédéric, on exprime le jus de l’orange, et on la jette ensuite. » Depuis ce moment. Voltaire songeait sérieusement à mettre en sûreté « les pelures de l’orange ; » il cherchait un prétexte pour quitter la Prusse. Aussitôt après l’exécution juridique de la Diatribe, il renvoya au roi le brevet de sa pension et sa clé de chambellan ; mais Frédéric l’obligea à les reprendre, et le départ de Voltaire se trouva retardé de quelques semaines. Il avait quitté Potsdam, comme nous l’avons dit, et s’était retiré à Berlin, d’abord dans une maison au centre de la ville, puis dans une sorte de ferme située à l’extrémité d’un faubourg, afin