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HISTOIRE DES SCIENCES

ses irruptions. » Là est la vérité, et les petits changemens que l’on peut observer, les ports qui s’ensablent, le limon qui se dépose à la bouche des fleuves, les légères variations que l’on constate dans la hauteur des rivages n’autorisent point les hypothèses excessives qu’on en veut tirer. Il n’accepte aucun changement de quelque importance. Buffon a prétendu que la Méditerranée est une mer relativement récente, et qu’elle s’est produite par l’irruption de l’Océan, qui a renversé les promontoires situés entre Gibraltar et Ceuta. C’est là un point de vue que Voltaire déclare inadmissible. Il ne veut pas concevoir l’ancien continent sans Méditerranée. Tous ces grands fleuves qui viennent d’Europe et d’Asie, le Tanaïs, le Borysthène, le Danube, le Pô, le Rhône, ont de tout temps formé un grand lac. Ces fleuves ne pouvaient avoir d’embouchure dans l’Océan, « à moins qu’on ne se donnât encore le plaisir d’imaginer un temps où le Tanaïs et le Borysthène venaient par les Pyrénées se rendre en Biscaye. » La Mer-Noire, la Caspienne, sont tout aussi nécessaires à l’économie générale du continent, et, pour employer une comparaison dont nous nous sommes déjà servi tout à l’heure, il n’imagine pas plus le continent dépourvu de ces mers qu’il ne comprend un visage sans bouche et sans yeux.

On voit bien quelle position Voltaire avait prise. Il défendait la physique du globe contre l’imagination déréglée des naturalistes. Ceux-ci ne laissaient rien en place. L’illustre auteur de l’Histoire naturelle disait : « Nous voyons sous nos yeux d’assez grands changemens de terres en eau et d’eau en terres pour être assurée que ces changemens se sont faits, se font et se feront, en sorte qu’avec le temps les golfes deviendront des continens, les isthmes seront un jour des détroits, les marais deviendront des terres arides, et les sommets de nos montagnes les écueils de la mer. » C’est contre cette espèce de danse vertigineuse des élémens que Voltaire proteste ; mais il faut avouer qu’il pousse à l’excès l’esprit de résistance. Qu’il n’accepte pas les explications qu’on lui donne et qui sont manifestement des fantaisies de théoriciens, des rêves de philosophes, qu’il rappelle les esprits à la prudence et au bon sens, c’est fort bien ; mais pourquoi aller jusqu’à proscrire toute tentative d’explication ? Est-il possible que nous nous abstenions de chercher les causes des phénomènes naturels ? Ce serait trop nous demander ; tout ce qu’on peut exiger de nous, c’est que nous regardions de fort près aux hypothèses que nous faisons ou que font les autres. Ici d’ailleurs l’ardeur de la réaction fit commettre à Voltaire une erreur grave, nous pouvons même dire une lourde bévue ; elle lui a été bien souvent reprochée, et elle a suffi pour diminuer considérablement l’autorité de son nom en matière de sciences naturelles :