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« Dans notre langue italienne, disait Rossini, cette vocalisation ajoute à l’expression du mot. » Aussi ne se fait-il pas faute d’en user et d’en abuser. Qu’il s’agisse de Tancrède ou de Rosine, de Cendrillon ou d’Assur, de Moïse ou de Desdemona, l’effet avec lui ne varie guère. Il hérite d’une tradition où le culte de la belle voix humaine n’a jamais cessé d’être en honneur, tous les maîtres qui depuis un siècle l’ont précédé, les Porpora, les Cimarosa, les Païsiello, sont des chanteurs; lui-même, s’il voulait, brillerait au premier rang des virtuoses. Chanteur de profession, il ne daigna l’être, ayant sans doute mieux à faire; mais il écrivit la plus belle musique vocale qui existe, et pour l’art de mettre en lumière l’agilité, l’éclat et le ressort des voix, pour l’emploi de la virtuosité, nul, pas même Mozart, ne pourra lui être comparé : plus grand par le style, l’auteur des Noces de Figaro et de Don Juan n’a pas cet imprévu, cette verve, cette furie inventive. Les morceaux de virtuosité chez Mozart, la cavatine de dona Anna, l’air de la reine de la Nuit, sont des leçons de solfège quand on leur oppose les éblouissantes improvisations de cet artificier sans égal. D’ailleurs ce chant orné, objet de si violentes controverses, n’existe-t-il pas tout aussi bien dans la musique instrumentale? Voyons-nous le piano de Beethoven, son orchestre, ne jouer que des notes simples? Qu’est-ce que l’andante de la symphonie en ré, sinon de la virtuosité la plus exquise, la plus rare? Et dans l’air de Fidelio, cette gamme du début, de quel nom l’appeler? L’irascible Weber a beau maugréer, les grandes colères du critique n’empêchent pas le musicien d’aller où son caprice le mène. L’air d’Agathe, dans le Freyschütz, a son allegro de bravoure à l’italienne, le rôle tout entier d’Euryanthe étincelle de traits chromatiques. Weber à son tour fait ce qu’il blâme chez les autres, et ce que Rossini, lui, fait mieux que personne, grâce à ce don inné qu’en dehors des facultés du génie possède tout Italien de comprendre, d’adorer et de caresser la voix humaine en sa pure beauté, comme les anciens Grecs comprenaient et adoraient la ligne sculpturale.

Et qu’on ne s’y trompe pas, ce que je dis ici de Rossini n’est point seulement pour cette ornementation le plus souvent déliée, adroite, distinguée, parfois très dramatique, dont il fleurit sa cavatine, c’est surtout pour sa manière de diviser les voix dans ses chœurs et ses grands ensembles. Qu’on me cite un finale au théâtre capable de lutter en sonorité avec celui de Moïse; j’entends sonorité vocale, et récuse ainsi d’avance toute comparaison avec la bénédiction des poignards dans les Huguenots, où l’appareil symphonique joue un si grand rôle. Quelle autre merveille, en un genre tout différent, ce finale du Barbier, où le musicien, s’efforçant de parer à l’insuffi-