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basse et un air de ténor d’allures décidément trop théâtrales, déparent cet oratorio splendide, dont l’orchestration, qu’on nous passe cet affreux mot, aura été le dernier effort du maître, et qu’on n’a pu entendre encore qu’au piano.

Que sera cet orchestre? Apparemment celui de Guillaume Tell. Il serait imprudent de s’attendre à plus, rien en-deçà, mais probablement aussi rien au-delà; ajoutons qu’on pourrait se contenter à moins. A la rigueur, un musicien peut, en lisant beaucoup, transformer son style; mais, pour ce qui regarde la combinaison des sonorités, il lui faut absolument entendre les orchestres. Or, depuis des années, Rossini n’allait plus entendre personne, pas même lui. De M. Richard Wagner il ne connaissait guère que la marche de Tanhäuser, et encore pour l’avoir entendue à Wildbad, exécutée par une bande militaire. L’idée qu’il se faisait de l’orchestration moderne était une idée tout arbitraire, une notion plus satirique qu’expérimentale. Prélude du passé, prélude du présent, prélude de l’avenir, ainsi s’intitule une des quatre-vingts pièces de piano qu’il a laissées : morceaux écrits à leur heure où, sous forme de distraction, le maître se livre à ce curieux effort vers la science qui fut sa dernière manière. Lui que l’élément mélodique préoccupait seul au début, qui se contentait de légers accompagnemens et d’harmonies telles quelles, enroule maintenant sa période en d’incessans festons, élabore ses accords, multiplie les dessins rhythmiques, n’est que parti-pris. On trouvera dans cette suite considérable, divisée en série d’albums, des choses qui, sans appartenir au domaine du style symphonique, touchent au vrai beau, entre autres cette méditation ayant pour titre le Sommeil profond, d’où s’exhale je ne sais quelle bouffée élégiaque qu’on croirait venue des sonates de Beethoven.

Je n’en veux en ce moment qu’aux Préludes du passé, du présent et de l’avenir, lesquels semblent mis là tout exprès pour appuyer mon dire. On devine l’économie de cette pièce en trois compartimens. Dans le prélude du passé sont évoqués les anciens clavecinistes, les Frescobaldi, les Emmanuel Bach, dont le maître reproduit la gamme avec un art exquis; pour le présent, c’est Rossini lui-même qui se charge d’en faire les honneurs; reste le prélude de l’avenir, qui, par la confusion voulue, l’entassement des dissonances, viendra très spirituellement parodier les tendances des musiciens de l’école de Weimar; mais ces musiciens, Rossini ne les connaissait pas, ou du moins ne connaissait leurs œuvres que par ouï-dire, assez pour les parodier avec son ironie accoutumée, pas assez pour tirer avantage de ce qu’ils peuvent avoir de bon, ainsi qu’il n’eût certes pas manqué de faire aux beaux jours de