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ces dates et les textes servaient de principaux argumens. De ces erreurs le critique concluait à bon droit que Mme de Maintenon n’avait pu se tromper de la sorte si fréquemment. Il allait plus loin : des suscriptions il concluait au corps même, au texte des lettres, et il émettait cet avis, que le vœu de M. Lavallée appelant à l’avance la découverte des originaux avait été entendu, qu’un adroit faussaire avait fabriqué à son intention, avec le secours des textes peu authentiques imprimés au XVIIIe siècle, les autographes de ces lettres au cardinal et au duc de Noailles. Le possesseur et le nouvel éditeur de ces documens s’étaient laissé, disait-il, indignement tromper : le désaccord entre les dates et les textes aurait dû suffire à leur déceler une grossière supercherie.

Une telle déclaration, publiée d’abord par la presse quotidienne, puis par un recueil périodique, enfin sous forme de brochure, ne manqua pas de causer dans un certain cercle une émotion assez vive. — Dans quel temps vivions-nous, et qu’allaient devenir les études historiques, si nous étions entourés de faussaires ? À quels documens, à quels livres se fier désormais, et quels jugemens accepter ? Ajoutez ce que pouvait avoir de fâcheux pour la mémoire de M. Lavallée une pareille méprise, si elle se vérifiait. On se rappelait de récentes discussions où il y avait eu des rôles désagréables. Il est triste d’être dupe ou de passer pour tel : on a vu des gens d’honneur, plutôt que d’accepter cette dernière infortune, s’attacher à l’erreur avec une obstination singulière. Les intérêts d’une grande publication pouvaient en outre se trouver compromis, car il y avait ici ce péril particulier, que l’opinion publique, peu capable d’ample examen, voulût conclure d’un volume rendu suspect, justement ou non, à toute la série de volumes dont se composait un recueil important. Précisément les juges désintéressés n’avaient cette fois nul moyen de contrôle : les manuscrits dont s’était servi M. Lavallée pour composer son quatrième volume n’étaient pas dans un dépôt public ; le critique lui-même ne les avait pas vus. Personne, pas même l’éditeur, n’avait rien dit de la provenance, de l’âge, de l’aspect extérieur, de la valeur intrinsèque de ces papiers.

Ces manuscrits, appartenant naguère à M. le duc de Cambacérès, mais aujourd’hui à M. le duc de Mouchy, nous les avons eus entre les mains, et nous avons pu les étudier à loisir. Il eût suffi de les montrer quelques instans pour mettre à néant, dans l’esprit même du critique, toute incertitude sur l’authenticité. Qu’on se figure en effet trois vénérables volumes in-folio, aux tranches rouges, à la pleine reliure de basane datant sans conteste du XVIIIe siècle. Chaque feuillet a été soigneusement évidé de manière à servir d’encadrement à chaque lettre, qui y est collée par ses extrêmes bords.