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vrir l’un et l’autre recueils : il se convainquit rapidement du peu de solidité des Mémoires, où il rencontrait une foule d’inexactitudes ; mais il prit au sérieux le recueil des lettres, et fut tout heureux de voir qu’elles ne démentaient pas le portrait qu’il avait tracé. « J’ai vu les lettres de Mme de Maintenon, écrivait-il à d’Argental dès le 22 novembre 1752, c’est-à-dire dès la publication du premier recueil de La Beaumelle en deux petits volumes ; c’est l’histoire de sa vie depuis l’âge de quinze ans jusqu’à sa mort. C’est un monument bien précieux pour les gens qui aiment les petites choses dans les grands personnages. Heureusement ces lettres confirment tout ce que j’ai dit d’elle ; si elles m’avaient démenti, mon Siècle était perdu. Comment se peut-il faire qu’un nommé La Beaumelle, prédicateur à Copenhague, depuis académicien, bouffon, joueur, fripon, et d’ailleurs ayant malheureusement de l’esprit, ait été le possesseur de ce trésor ? On disait, il y a quelques années, qu’on avait volé à M. de Caylus ces lettres et ces mémoires sur sa tante. N’en sauriez-vous pas des nouvelles ? » Voltaire, comme on voit, ne ménageait point à son adversaire les soupçons injurieux ; mais il ne songeait pas à révoquer en doute l’authenticité des documens. Tout au plus dit-il une fois que les erreurs de dates, fréquentes dans les lettres, auraient pu éveiller quelques soupçons ; il en reste là, arrêté sans doute par l’intérêt qu’il a évidemment à ce que cette correspondance, conforme en général à son propre jugement, ne soit pas contestée. Et de la sorte, au milieu des persécutions dont, par son tout-puissant crédit, il abreuva La Beaumelle, celui-ci tint sa vengeance : il avait trompé son habile adversaire. Seulement La Beaumelle était réduit à jouir en secret de ce maigre triomphe, qu’il aurait détruit en le déclarant. Voyons quelles vraisemblances il avait observées, quel abus il avait fait des textes, et ce qu’il faut penser enfin de sa double publication. Ce peut être l’occasion d’une curieuse étude sur le goût littéraire au XVIIIe siècle, et particulièrement sur l’histoire de la renommée de Mme de Maintenon.

Pour ce qui est des Mémoires publiés en 1755 comme développement de la courte et incomplète biographie de 1752, il ne peut y avoir nul doute sur l’intention et l’espoir qu’avait l’auteur de faire échec par cet ouvrage au Siècle de Louis XIV. Le titre seul annonce autre chose qu’une étroite biographie : il s’agit de mémoires sur l’histoire de Mme de Maintenon et sur « celle du siècle passé, » de Mémoires capables de montrer, comme dit la préface, « non-seulement les commencemens, les progrès, les ressorts, les ennuis d’une si prodigieuse élévation, mais aussi les causes de tant de faits qui ne furent jamais approfondis, les prospérités, les fautes, les