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d’autres que son mari. Seignelay l’avait fort courtisée. « C’était une femme très aimable, et qui fourmillait d’amis et d’amies. » Saint-Simon ajoute qu’elle ne bougeait de la cour, ce qui suffit à rendre inexplicable une correspondance où on lui apprend toutes les nouvelles de cour. Elle fut toutefois disgraciée vers 1697 pour s’être liée avec la duchesse de Bourbon, fille de Mme de Montespan, et qui avait épousé M. le duc, fils du grand Condé. Elle était l’âme des petits soupers que cette duchesse donnait dans une petite maison du parc de Versailles qu’on appelait le Désert. Ces réunions déplaisaient au roi, qui les défendit ; elles continuèrent clandestinement. Louis XIV apprit une fois que le souper s’était prolongé fort avant dans la nuit ; Mme de Saint-Géran était dans la première année de son veuvage, cette circonstance aggrava sa faute : elle paya pour tous et fut exilée. Or, peu de temps auparavant, en 1696, une lettre authentique[1] montre Mme de Maintenon donnant à cette légère personne des avis qui font apprécier quels rapports il y avait réellement entre elles : « Mme de Saint-Géran, à qui je n’avais pas parlé il y a bien des années (La Beaumelle, reproduisant cette lettre sous la date de mars 1700, a bien soin d’effacer ces mots, qui le condamneraient), m’a demandé une audience en m’assurant qu’elle voulait être dévote. Je lui ai parlé avec une grande franchise sur sa conduite, et je l’ai envoyée à Mme la maréchale de Noailles pour juger s’il faut, pour la détacher du monde, la mener à Marly. » Ainsi Mme de Maintenon dément elle-même toute correspondance fréquente et intime avec une personne qui avait attiré de la sorte l’attention de la cour et les sévérités du roi. Ajoutons que les lettres supposées fourmillent de contradictions et d’erreurs.

Les lettres à Mme de Frontenac et de Saint-Géran ne sont pas seules fausses dans les deux recueils publiés par La Beaumelle. Il en faut dire autant de beaucoup d’autres qui reproduisent les anecdotes les plus suspectes ou les inventions des pamphlets les plus décriés. On trouvera dans l’ouvrage de M. Lavallée toutes les preuves désirables ; il a été mis sur la trace par un document très curieux qui appartient à M. le duc de Noailles. Louis Racine, sur un exemplaire du premier recueil publié par La Beaumelle, avait écrit en marge quelles lettres lui étaient suspectes, et quelles lui semblaient évidemment fausses. Il avait reconnu, à ne pas s’y méprendre, la mise en œuvre, quelquefois maladroite, des anecdotes que lui-même avait livrées. S’il n’eût été si modeste et si ami du silence, il pouvait arrêter court l’audacieuse publication.

Non-seulement La Beaumelle invente de toutes pièces, mais de

  1. Au cardinal de Noailles, 8 mars (datée à tort du 11 par M. Lavallée).