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du roi pendant les grands revers de la fin du règne. Elle écrira au duc de Noailles le 24 juillet (1706), c’est-à-dire au lendemain des défaites de Ramillies et de Turin : « Je ne pourrais supporter l’état présent, si je ne regardais d’où il nous vient, et que les hommes ne sont que des instrumens entre les mains de Dieu pour affliger et humilier le roi et la France. Il ne faut point raisonner avec lui en disant que les rois qu’il paraît abandonner sont pieux, et que nos ennemis sont pour la plupart hérétiques. Dieu ne nous doit point rendre compte de sa conduite ; il est bien sûr qu’elle est juste et même pleine de bonté. » La Beaumelle, lui, n’est pas content de ce style, où il voudrait des ornemens, et il transforme ainsi tout ce passage : « Les hommes ne sont que des instrumens entre les mains de Dieu pour affliger un royaume trop heureux et pour humilier un roi trop grand. Il ne faut point raisonner avec le maître des événemens. » Et, quant à l’objection sur la piété des rois et leurs ennemis hérétiques, l’écrivain du XVIIIe siècle profite de l’occasion pour introduire une leçon de politique et de philosophie en assez mauvais style. « Ce ne sont pas, fait-il dire à Mme de Maintenon, les opinions qui prennent les villes et gagnent les batailles ; nos ennemis sont pleins de prudence et d’habileté, nos généraux ont malhabiles, et notre soldat découragé. » Dans cette même lettre, Mme de Maintenon dit encore : « Le roi est en parfaite santé, courageux et chrétien, et faisant de son mieux. » Certes voilà qui est simplement exprimé, et ce peu de mots emprunte à la gravité des circonstances une singulière grandeur. Cependant La Beaumelle n’est pas de cet avis, et il substitue ces lignes : « Le roi est en parfaite santé. Même courage, même soumission à la volonté de celui qui dispose des empires ; toujours malheureux et faisant toujours tout ce qu’il faut pour ne l’être pas[1]. » Avait-on réellement si mauvais goût du temps de La Beaumelle qu’il fût autorisé à croire qu’il plairait par cette froide rhétorique ?

La manière constante de Mme de Maintenon lui paraissant trop unie et monotone, il a volontiers recours aux anecdotes littéraires, inventées ou transformées, afin de créer d’agréables diversions. En voici deux exemples curieux et inédits. Duché, bel esprit qui travaillait pour l’Opéra et pour Saint-Cyr, auteur de plusieurs tragédies sacrées, telles que Jonathas, Absalon, Débora, venait de mourir à la fin de 1704. Le recueil de La Beaumelle[2] place dans l’année 1705 une lettre au duc de Noailles que la pièce autographe, dans les manuscrits du château de Mouchy, nous montre

  1. Comparez les manuscrits du château de Mouchy et La Beaumelle, Lettres, t. V, p. 85.
  2. Lettres, t. V, p. 66.