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princesse des Ursins y était jalouse de la voir entourée des hommes les plus importans, interrogée à part, et comme consultée sur de graves intérêts. Déjà l’on commençait à rendre hommage à « sa solidité. » Tout cela lui composait un rôle singulier, il est vrai ; mais précisément cette singularité était à la fois sa sauvegarde et son triomphe. Si elle succombait une fois, elle rompait le charme. Qu’on dise, si l’on veut, qu’à celle qui n’aima jamais personne il fut moins difficile qu’à d’autres de ne pas faillir ; mais qu’on lui reconnaisse du moins cette victoire, quelle qu’elle soit, et qu’on lui en laisse le bénéfice : c’est l’explication de toute sa vie.

Quand sa faveur auprès du roi commença, vers 1680, ce fut par les mêmes raisons qui l’avaient déjà fait partout rechercher. Le roi, qui avait plus de quarante ans alors, se lassait des caprices des maîtresses ; la passion inquiète avait entraîné sa volonté sans plaire ni à son intelligence ni à son cœur. Particulièrement sensible à la distinction de manières et d’esprit, il fut étonné de sentir le charme pénétrant d’une affection paisible. Oui, sans doute, Mme de Maintenon s’efforça d’éloigner le roi de sa maîtresse, mais comment en conclure qu’elle voulût elle-même occuper cette place quant au contraire elle signala son triomphe en ramenant le roi vers la reine ? Prévoyait-elle en 1680 que la reine mourrait dès 1683 ? — Ce que tous deux avaient de religion intervient ici comme explication dernière. Nous savons bien que la religion de Louis XIV n’est guère du goût de notre temps, et à bon droit. Cette peur incessante du diable et de l’enfer que Fénelon lui reprochait, ces compromis de conscience par où une telle peur trouvait d’étranges compensations, cette intolérance aveugle, ce partage du pouvoir prétendu avec Dieu même, en voilà assez pour déceler une croyance pusillanime, égoïste et étroite. Il n’en est pas moins vrai qu’à travers cette idolâtrie de la royauté absolue, de nature à gâter le roi et les sujets, et qui a coûté tant de malheurs à la France, l’éducation chrétienne, — plus encore que la morale naturelle, à laquelle il semblait devenu étranger, — avait inspiré des scrupules à Louis XIV. Mme de Maintenon de son côté, à partir du jour où elle dut s’apercevoir qu’elle exercerait une réelle influence sur l’esprit du roi, avait eu certainement l’ambition de le convertir ; sa religion exacte et sincère lui avait ordonné cette entreprise, et ses directeurs (qui oserait dire qu’un Fénelon ne songeât pas ici à autre chose qu’à la seule domination de son église ?) lui répétèrent que c’était là sa mission, à laquelle il ne lui serait pas permis sans péché de se soustraire. Pour la remplir, il lui fallait subir le très réel ennui de la cour, elle ne s’appartenait plus, elle était l’instrument des desseins de Dieu sur la France et sur le roi. Oui, Mme de Maintenon fut ambitieuse ; mais son ambition