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part elle ne trace le plan d’une éducation forte et saine, capable d’acheminer de jeunes âmes vers l’accomplissement simple et régulier et vers le goût du devoir. Sa vie extraordinaire, composée d’abord d’amertume, puis d’incroyable triomphe, ne lui avait pas été à elle-même, pour une tâche si délicate, une préparation heureuse. Elle avait appris à se défier d’un monde corrompu et à lui résister en s’enfermant dans une perpétuelle contrainte ; il était naturel qu’elle fût moins habile à ces autres vertus que l’œuvre de l’éducation réclame, l’oubli de soi-même, l’indulgence et la suprême bonté. Lisez ses entretiens et ses lettres, non pas dans le recueil tronqué et falsifié de La Beaumelle, qui ne donne qu’une partie de celles à Mme de Glapion, et qui retranche les répétitions et les longueurs, mais dans l’abondante et sincère collection de M. Lavallée, — vous verrez que tout se rapporte à elle : c’est de sa vie et de ses exemples que tous les enseignemens sont tirés ; elle oublie la vie réelle et commune, et par suite engage à son insu les jeunes filles vers des carrières d’exception. Malheureuses celles qui se trouveront réduites à retourner dans leurs familles ; elles trouveront au fond de quelque province une vie étroite, les soins répugnans, les grossiers travaux. La vie dans le siècle, surtout la vie dans le mariage, c’est, à l’entendre, la pire servitude. « Entre la tyrannie d’un mari et celle d’une supérieure, dit-elle, il y a une différence infinie. On sait à peu près, en entrant en religion, ce qu’on peut exiger de vous. Il n’en est pas de même pour le mariage ; il n’y a point de noviciat qui y dispose, et il serait difficile de prévoir jusqu’où un mari peut porter le commandement. Il s’en trouve très peu de bons. Il faut supporter d’eux bien des bizarreries et se soumettre à des choses presque impossibles. » Combien se montre plus sensé l’auteur du Traité de l’éducation des filles, qui présente le monde non comme un objet d’effroi, mais simplement, — admirable justesse de l’idée et de l’expression, — comme « l’assemblage de toutes les familles. Les femmes y ont des devoirs, dit-il, mais des devoirs qui sont les fondemens de toute la vie humaine. » Les jeunes filles de Saint-Cyr, si elles prenaient goût aux plus intimes enseignemens qu’on leur offrait, n’avaient d’autre perspective que de pouvoir entrer à la cour et d’y obtenir quelque faveur du roi, en suivant de loin ce parfait idéal, l’exemple de leur institutrice. Quelle impression pouvait faire sur ces jeunes esprits l’éclatante représentation d’Esther en présence de tout Versailles, sinon d’inspirer à chacune des actrices l’immodéré désir de rencontrer un troisième Assuérus ?

Il fallut bien s’apercevoir que tel était, pendant une première période, le résultat de l’éducation donnée à Saint-Cyr, en l’absence