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tions à prendre. En 1741, Voltaire n’avait encore aucune attache officielle; ce n’est que quatre ou cinq ans plus tard que, par la faveur de Mme de Pompadour, il fut coup sur coup nommé historiographe du roi, puis gentilhomme de la chambre et enfin appelé à l’Académie française. Tout cela lui vint, comme il dit, pour « une farce de la foire; » c’est ainsi qu’il nommait l’opéra-ballet de la Princesse de Navarre, qu’il composa à l’occasion du premier mariage du dauphin. Dès l’année 1741, l’auteur de la Henriade, de Zaïre, de Mérope, était un des hommes de lettres les plus illustres de l’Europe, et il était choquant qu’il ne fût point entré à l’Académie française; il avait fallu tout le crédit de ses ennemis et l’aversion de Louis XV pour l’en éloigner. Dans ces conditions, c’était un bon tour que de fausser compagnie aux quarante et de se glisser chez leurs voisins. Là était le côté malicieux du projet; quant à la pensée de prudence, c’est une chose avérée qu’à cette époque Voltaire désirait un titre quelconque comme un bouclier contre ses ennemis, et, faute de mieux, il devait trouver quelque sûreté à se placer sous l’égide officielle de la science. Il est certain qu’il affecte à ce moment de tenir les quarante en petite estime et de réserver tout son intérêt pour l’autre académie. On trouve ce point de vue marqué à diverses reprises dans sa correspondance. Un jour, par exemple, il a demandé à l’abbé Moussinot de lui envoyer les mémoires de l’Académie des Sciences où sont insérés les pièces qu’elle a couronnées. Moussinot annonce l’envoi de trente et un volumes. Voltaire se récrie ; il lui semble impossible que la collection dont il parle soit si volumineuse; il faut que Moussinot ait fait quelque confusion; ce sont sans doute les quarante qui ont mis leurs archives en trente et un volumes, l’Académie des Sciences en a bien moins. « Si l’on a fait le quiproquo, dit-il, il faut vite acheter les volumes des pièces qui ont remporté les prix à la véritable académie, et je vous renverrai les ennuyeux complimens de la pauvre Académie française. Franchement il serait dur d’avoir des complimens, que je ne lis pas, au lieu des bons ouvrages dont j’ai besoin. » Moussinot ne recevait pas seulement des railleries de ce genre, il était chargé aussi de commissions plus directes; il avait ordre, — est-ce par hasard? — de faire des avances d’argent à plusieurs savans de l’Académie qui se trouvaient dans une position embarrassée. Voltaire songeait à tout, et il estimait peut-être que ces petits moyens ne pouvaient pas nuire à sa candidature. Aussi bien ses titres sérieux ne laissaient pas d’être assez respectables, comme on a pu en juger par ce qui précède, et nous ne voyons pas qu’il eût fait trop mauvaise figure à côté des Clairaut et des Maupertuis.

Toutefois, hâtons-nous de le dire, si Voltaire eut réellement l’in-