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II.

Il est temps de parler de ses œuvres littéraires, qui lui ont valu une renommée plus solide que sa carrière politique. Comme on peut s’y attendre d’après ce qu’on sait de ses goûts et de son caractère, Cats n’est point de la famille des grands poètes, aux conceptions audacieuses, qui imposent l’admiration par la tragique beauté de leur génie. Ce n’est point dans le voisinage de Dante et de Shakspeare qu’il convient de lui assigner une place. C’est plutôt dans la catégorie des grands humoristes qui ont su donner à leur philosophie de la vie humaine et du cœur humain ce tour original, piquant, qui assaisonne si agréablement des vérités en elles-mêmes très simples et dictées par le bon sens. Il y a dans Cats du Montaigne et du La Fontaine. De tous deux il a la naïveté, la joie de vivre, la curiosité toujours éveillée. Du premier, il a la faconde un peu prolixe, l’abandon, la fantaisie, la bonne foy vis-à-vis de lui-même et des autres ; du second, il partage le goût de la nature modeste, des jardins, des prairies; sa morale, comme celle du fabuliste, revient ordinairement à ce mot unique : prudence ! Sous d’autres rapports, il reste lui-même. Il n’est ni sceptique comme Montaigne, ni relâché dans ses mœurs comme La Fontaine. L’histoire galante ne lui déplaît pas, mais il ne descendra jamais au conte grivois. Le mariage est pour lui une institution sainte, sur laquelle le badinage n’est pas permis, et dont il ne faut parler qu’avec révérence. Très frappé, comme Montaigne, des variations religieuses et morales de l’humanité dans l’histoire et à la surface du globe, habitant un pays où l’érudition est fréquente et dont les navigateurs poursuivent hardiment de nouvelles découvertes, il ne conclut nullement, à l’exemple du philosophe gascon, que tout, maximes morales et croyances religieuses, est convention, coutume, arbitraire. On sent en le lisant que l’esprit européen est revenu du premier étourdissement que lui a causé la révélation des sociétés et des mœurs inconnues. Cet esprit désormais, tout en constatant les différences, sait les apprécier, et dans cette appréciation il se sent supérieur. Que les Chinois, les Algonquins ou les Aztèques aient de tout autres notions de moralité que les chrétiens d’Europe, cela signifie tout simplement pour lui qu’ils ne sont pas aussi éclairés, et Cats trouvera aisément dans une observation moins superficielle de ces différences l’unité fondamentale qui subsiste et qui fait de la vie religieuse et morale quelque chose de naturel, d’essentiel à l’espèce, mais plus ou moins développé selon le degré de lumières atteint par la portion du genre humain dont il est question pour