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rient. Aujourd’hui, à la vérité, on fait ce qu’on peut pour ne pas laisser arriver l’imprévu, pour mettre le pied sur les étincelles. C’est l’œuvre de cette conférence réunie en ce moment, et à laquelle M. Magne doit sûrement porter un aussi vif intérêt que M. de La Valette, qui la préside ; mais cette conférence, qui s’est chargée de réconcilier provisoirement la Turquie et la Grèce, ou du moins de les empêcher de s’entretuer, aboutira-t-elle ? Quel sera le résultat de son intervention souveraine ? C’est là précisément la question en ce moment. La conférence paraît s’être heurtée, dès ses premiers pas, contre une difficulté qui était pourtant facile à prévoir, et qui était certes prévue. La diplomatie a toute sorte de secrets et de nuances qui en font presque une affaire d’initiés. Il avait donc été convenu que la Turquie entrerait à la conférence comme puissance délibérante, tenant son titre du traité de Paris, et que la Grèce au contraire n’y figurerait qu’avec voix consultative. Voilà justement d’où est venue la difficulté. La Grèce avait-elle été interrogée ? avait-elle accepté d’avance la situation inégale qui lui était faite ? Il paraît bien que non, puisque dès la première séance M. Rangabé, son représentant à Paris, appelé un peu comme un invité ou comme un accusé, a fait avorter la délibération par un refus qu’on appellera du nom qu’on voudra, mais qui n’est pas moins en définitive une protestation : première péripétie qui a nécessité tout d’abord un appel nouveau adressé à la bonne volonté du gouvernement hellénique. Cet appel sera-t-il entendu à Athènes ? Il n’y a cependant que deux issues : ou bien la Turquie, sous la pression des puissances européennes, cessera de s’opposer à l’admission pleine et entière de la Grèce dans la conférence, et ce serait le plus simple, ou bien la Grèce persistera dans son attitude passive, et la diplomatie essaiera de trancher la question sans elle. Seulement, dans ce dernier cas, c’est évidemment un fait grave, moins encore par lui-même que par sa signification ou par les conséquences qu’il peut avoir.

Si la Grèce s’enferme dans un refus invariable, comme cela semble aujourd’hui avéré, ne peut-on pas voir dans cette persistance une preuve qu’elle serait encouragée par de plus puissans qu’elle en Europe ? C’est simplement une question d’avenir que nous posons, car pour le moment la France et la Russie marchent d’intelligence avec un égal désir de ne pas aller au-devant de complications nouvelles ; mais d’un autre côté, si la Grèce, même sans être encouragée, ne prenant conseil que de ses propres susceptibilités, s’obstine jusqu’au bout dans son inertie, dans une résistance passive, et si la conférence est réduite à prendre un parti en dehors de tout concours du gouvernement hellénique, comment fera-t-on pour imposer la solution qui sera adoptée ? Laissera-t-on la Turquie seule désormais en tête-à-tête avec la Grèce ? se désintéressera-t-on de tout ce qui peut suivre ? Et quand même on obtiendrait la soumission du petit royaume hellénique aux conditions qui lui seront faites, sera-ce pour longtemps ? Il s’ensuit que, si nombreuses et si sérieuses