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magistrats et le vote conforme des quatre cinquièmes du conseil, c’est-à-dire la majorité légale. Lequel décret a été voté à l’unanimité par les dix membres du conseil, et les six voix des signori. Total : seize. »

Le jour où a été rendue cette ordonnance, on n’avait encore aucune nouvelle du procès criminel suivi contre Pasquale Gambara.


Nous ajoutons aux documens ci-dessus la copie d’une lettre écrite en décembre 1525 par ser Tiziano Vecellio, notre grand peintre, à son élève Jacopo Palma[1] de Serinulta, près Bergame.

« Comme je veux, mon cher disciple, répondre en leur ordre aux questions que votre dernière m’apporte, je vous donnerai tout d’abord mon humble avis sur le mérite de la peinture dite des Flandres. C’est un sujet que je crois connaître assez, l’ayant traité avec notre confrère Buonarotti, et je ne peux mieux faire que de vous rapporter son opinion, telle que je la lui ai entendue exprimer devant Mme d’Avalos, marquise de Pescara (peut-être plus connue de vous sous le nom de Vittoria Colonna). « — La peinture flamande, lui disait-il, plaira généralement à tout dévot plus qu’aucune d’Italie… En Flandre, on peint d’ordinaire, pour abuser la vue extérieure, ou des objets qui vous charment, ou des objets dont il ne se peut médire, tels que saints ou prophètes. D’ordinaire aussi ce sont des chiffons, des masures, des champs très verts ombragés d’arbres, des rivières et des ponts (ce que l’on appelle paysages), et beaucoup de figures par-ci par-là. Quoique cela fasse bon effet pour certains yeux, il n’y a là véritablement ni raison ni art ; point de symétrie, point de proportions, nul soin dans le choix, nulle grandeur… Si je dis tant de mal de la peinture flamande, ajoutait-il, ce n’est pas qu’elle soit entièrement mauvaise, mais elle veut rendre avec perfection tant de choses, dont une seule suffirait par son importance, qu’elle n’en fait aucune d’une manière satisfaisante. La bonne peinture est noble et dévote par elle-même. Chez les sages en effet, rien n’élève plus l’âme et ne la porte davantage aux sentimens religieux que la difficulté même de la perfection. »

« Et maintenant, puisque vous souhaitez la connaître, je vous donnerai ma recette pour la pegola. — Prenez de la résine de sapin, autant d’ocques que vous en voudrez ; mettez-la dans un vase

  1. Il s’agit, bien entendu, de Palma le Vieux. L’autre, qui portait le même prénom, ne naquit à Venise que dans l’année 1544.