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particulier aux Anglais, c’est que, lorsqu’ils entrent dans un pays, ils ont une sorte de tendance à camper dans la ville où ils débarquent, ou qui est la plus près des côtes, et à y prolonger leur séjour. C’est ainsi que Boulogne-sur-Mer est chez nous une colonie anglaise. A Bruges, qui est dans le voisinage d’Ostende, on rencontre plus de figures anglaises que dans aucune ville de Belgique. Rotterdam, qui est la première ville considérable de la Hollande quand on y pénètre par le sud, est également peuplée d’Anglais qui semblent avoir pour elle une prédilection particulière. Ajoutez enfin que Rotterdam est, de toutes les villes de Hollande, celle qui est la mieux située pour le commerce, celle où les relations d’affaires offrent évidemment le plus de facilité, de promptitude, d’agrément et de profit.

Ma seconde observation à Rotterdam me reporte encore hors de Hollande. Au bout d’une heure de promenade à travers les rues, je sais où Rubens a pris ses types de femmes blondes et blanches, aux formes opulentes, que j’avais cherchées vainement à Anvers. Je ne voudrais rien dire qui parût désagréable aux héritières de la beauté de la Madeleine et de la Vierge au manteau rouge du triptyque de la Descente de Croix qui peuvent vivre aujourd’hui dans les Flandres belges ; mais les peintres exacts, fidèles, scrupuleux, de la race flamande me paraissent plutôt Jean van Eyck et Hemling que Rubens. Vous retrouverez facilement les traits et la physionomie des personnages de van Eyck et d’Hemling sur ces visages forts, massifs, charnus, un peu lourds, sans beauté physique en général, mais susceptibles au plus haut degré de recevoir et d’exprimer les meilleures des émotions morales qui viennent de la chair, la pitié, la douleur, l’humanité, capables aussi de recevoir. et d’exprimer avec une rare énergie les pires passions de la nature, la colère, la brutalité, la bestialité. Quant à cette floraison de la chair, à cet épanouissement de lis humains que nous admirons dans Rubens, c’est aux blanches filles de l’aquatique Hollande que nous en sommes redevables. Ces beautés à la fois opulentes par le déploiement de la chair et délicates par la mollesse des fibres et la prédominance du tempérament lymphatique, c’est la Hollande, où elles s’épanouissent plus nombreuses que les hyacinthes et les tulipes dans les champs d’Harlem au printemps, qui en a fourni à Rubens les modèles, que le peintre a corrigés par ses souvenirs de Venise.

La célèbre statue d’Érasme qui orne la place du Marché, dans le voisinage d’Hoogstraat, n’est pas sans mérite, quoi qu’on en dise. Le sculpteur, Henri de Keyser, a très exactement copié ce personnage qu’Holbein a rendu si familier à une postérité pour laquelle le timide et fin novateur, type éternel de l’homme éclairé, et éternel