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la poésie de cette vie rustique et agricole qui a tenu et qui tient une si grande place dans l’histoire économique du petit peuple hollandais, et qui est entrée pour moitié dans le développement de sa prospérité. A l’époque où Paul Potter a peint son Taureau, cette vie rustique était la plus grande force de la Hollande ; c’est dans l’agriculture qu’elle concentrait encore les meilleurs efforts de son intelligence et de son énergie. En me reportant aux dates, je trouve que le Taureau de Paul Potter a dû être peint vers 1646 ou 1647, c’est-à-dire avant la paix de Westphalie, avant ce fameux congrès de Munster, représenté par Terburg dans une page célèbre, qui fut le promoteur véritable du grand essor qu’allait prendre le commerce hollandais et de l’activité qu’il allait déployer pendant plus de trois quarts de siècle, en enchaînant au profit de sa sécurité ce célèbre géant d’Anvers, dont la captivité, consentie par l’Espagne, le rendit maître du marché de l’Europe centrale. De la vie politique, la Hollande ne connaissait encore que ce qu’elle a de plus doux, l’enivrement de l’indépendance conquise ; mais elle ignorait ce que la vengeance et l’ambition ont d’âpres jouissances, et elle devait attendre encore près de trente ans avant de devenir le centre des coalitions contre la France, avant de conquérir le rôle qui lui donna sous Guillaume et Heinsius une sorte de suprématie européenne. Dans cette page mémorable, Paul Potter a donc exprimé ce qui était encore, au moment où il la peignit, la vie principale et l’âme véritable de son pays.

L’amour du paysan hollandais pour ses bêtes, comme il apparaît clairement dans le personnage de ce vacher qui, penché contre un saule, contemple ses chers animaux ! Certains connaisseurs lui reprochent d’être laid ; certes ce n’est pas un Apollon, mais quelle tendresse se lit sur son visage ! La beauté qu’il n’a pas, ses bêtes la possèdent à sa place, et la joie heureuse qu’il ressent en les voyant si robustes et si magnifiques imprime à sa physionomie une sorte d’attrait qui est déjà une récompense. Et qui sait si ce profond amour n’en trouvera pas un jour une plus grande ? L’habitude des pensées nobles est le véritable principe de la beauté, qu’elle finit toujours infailliblement par engendrer, lorsqu’elle est transmise de génération en génération, sans que la bâtardise du cœur interrompe le cours de sa sève. Voilà le fruit des sentimens exprimés par Paul Potter, pensais-je un jour au Helder, en regardant un couple de jeunes paysans du Nord-Hollande assis dans la salle d’attente du chemin de fer. C’était un homme visiblement, ce jeune paysan costumé à ravir, serré à la taille par une veste de fin drap noir à boutons d’argent, chaussé de grandes bottes à l’écuyère, si reluisantes, si claires, qu’un nègre aurait pu les prendre pour miroir, et dont il contemplait machinalement l’éclat