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ne voulait perdre tout crédit auprès de son neveu, c’était à lui de le conjurer. Plus habile qu’il ne l’avait été en d’autres circonstances, le cardinal Fesch commença prudemment par déclarer que la proposition émanée de l’évêque de Jéricho, et si dignement soutenue par les évêques de Chambéry, de Soissons, de Turin et de Bordeaux, était au fond du cœur de tous les membres de l’assemblée, et répondait parfaitement à ses propres sentimens. Si le concile ne devait durer que peu de jours, on pourrait sans doute hasarder une semblable démarche ; toutefois, en la faisant, on s’exposerait certainement à exciter la très grande mauvaise humeur du chef de l’état. Peut-être aussi serait-il répondu que le pape n’était nullement prisonnier, et qu’il pouvait sortir de Savone pour aller ailleurs. Le vrai moment de s’exprimer comme il convenait sur ce sujet ne viendrait-il pas avec infiniment plus d’opportunité quand on traiterait la question de l’institution canonique ? Alors surtout, alors seulement, il y aurait lieu de parler à l’empereur de la déplorable situation du saint-père[1].

Ces observations du président du concile, présentées avec beaucoup de ménagement et de douceur, firent à l’évêque de Gand l’effet d’avoir été dictées au cardinal par les meilleures intentions. Elles produisirent probablement la même impression sur le concile lui-même. En tout cas, elles servirent à chacun d’avertissement. Tout le monde, en entendant ces paroles pleines de réserve de l’oncle de l’empereur, comprit de reste combien la soudaine revendication de la liberté du pape avait chance de mécontenter en haut lieu. On se le tint pour dit, et le concile, tout à l’heure plein de feu, devint tout à coup de glace pour la proposition de l’évêque de Jéricho. Avec beaucoup de présence d’esprit, le cardinal Caselli demanda néanmoins que mention fût faite au procès-verbal de l’assentiment unanimement donné en principe par le concile à l’idée de revendiquer la liberté du souverain pontife. Cela fut universellement accepté. M. de Broglie, qui ne pouvait se dissimuler combien il était déjà mal noté à la cour impériale, n’avait pris nulle part à cette discussion. Il s’était imposé la règle de ne se mettre jamais en avant dans les congrégations générales, à moins que les circonstances ne l’exigeassent impérieusement, et quand personne ne se présenterait. C’était sa pensée constante de n’apparaître qu’en seconde ligne. C’est pourquoi, après avoir dans la commission particulière invité le premier ses collègues à réclamer hautement la délivrance du saint-père, il s’était interdit d’appuyer personnellement cette motion quand elle avait été portée devant le concile, s’étant

  1. Journal de M. de Broglie, évêque de Gand.