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Rose-Croix est une farce un peu forcée, mais assez amusante, où l’auteur tourne en ridicule les folies de l’illuminisme, qui conservait encore des adeptes avant que Cagliostro vînt raviver leur ferveur C’est là que brille Duclos dans le rôle d’un valet qui s’appelle Rémond, parce qu’il descend, dit-il, du grand Raymond Lulle.

La cinquième comédie, le Jaloux de lui-même, est le fruit d’une sorte de rivalité du comte de Forcalquier avec le président Hénault. Tous deux ont traité le même sujet avec le même titre, mais d’une manière toute différente. La pièce du président, qui a été publiée, est mieux intriguée que celle du comte de Forcalquier ; mais elle est moins originale et elle n’est pas la traduction exacte du titre. Son jaloux est un jaloux ordinaire, et il ne peut être qualifié jaloux de lui-même qu’en ce sens que les incidens propres à le convaincre qu’il est aimé deviennent à ses yeux autant de preuves de trahison. Ce n’est là qu’un des effets habituels de la jalousie. Le thème du comte de Forcalquier est plus singulier. Un jeune homme, le comte d’Amille, a été passionnément aimé par une jeune personne, Mlle Deran, à une époque où il portait le nom de Vareil. Par une suite de circonstances un peu invraisemblables, celle-ci croit que son amant a été tué en duel, elle se retire auprès d’un oncle au fond d’une province et passe cinq ans à le pleurer. Au bout de cinq ans, il reparaît sous un autre nom, et se présente devant elle comme un autre homme, avec l’idée assez cruelle d’éprouver s’il pourrait la rendre infidèle à sa mémoire. Par un hasard peu vraisemblable aussi, Mlle Deran ne le reconnaît pas ; mais sa ressemblance avec l’homme qu’elle a aimé fait naître en elle pour lui un mélange de tendresse et d’aversion dont l’expression est souvent très touchante. Quant à lui, il est également partagé entre la double jalousie qu’il s’inspire à lui-même, soit quand il s’imagine que son amour sous un nouveau nom fait des progrès dans le cœur de Mlle Deran, soit lorsqu’il reconnaît qu’il ne peut pas effacer de son cœur le souvenir de celui qu’elle croit mort. Quand il se décide enfin à se faire reconnaître, Mlle Deran, outrée de son procédé, refuse de l’épouser, et le quitte en déclarant qu’elle ne veut plus penser qu’à l’homme loyal qu’elle a aimé autrefois sous le nom de Vareil.

Ces nuances, on le voit, sont un peu subtiles, mais conformes au tour d’esprit des Brancas, et surtout de M. de Forcalquier : aussi cette pièce sans action est celle dont le style est peut-être le plus travaillé. L’élément comique, représenté par le valet et la soubrette, figure à peine, elle est surtout pathétique. Le rôle le plus considérable, celui de Mlle Deran, exigeait, pour être bien rendu, un vrai talent. C’est la comtesse de Rochefort qui le remplissait, et comme la pièce a été représentée plusieurs fois à d’assez longs intervalles avec des changemens parmi les autres acteurs, nous en