Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ALCIDOR.

Oh ! la vieille réputation est une idole brisée par les réaliseurs[1]. Glissons, monsieur, je vous prie, cette dissertation nous mènerait trop loin ; avec un peu de temps, je vous ferai toucher au doigt et à l’œil les nouvelles vérités.

GÉRASTE.

Ah ! quel homme ! quel homme !

ALCIDOR.

A l’égard de mon langage, qui ne vous est pas clair, cela vient de ce que les inventions des mots, des tours singuliers partent de moi, ou du moins c’est à moi qu’en arrivent les premières nouvelles. Quand nous serons logés ensemble, vous vous trouverez à la source,

GÉRASTE, à part.

Je consens qu’on m’y noie.

ALCIDOR.

Quant à ma conduite, monsieur, je vous supplie de vous expliquer davantage.

GÉRASTE.

Volontiers. Est-il possible qu’un homme de votre nom, à vingt-cinq ans passés, n’ait aucune charge, aucun emploi dans le monde que celui de bel esprit, de charmant inutile ? Espérez-vous d’entrer à ces titres dans aucune famille honnête et sensée ? Quel est le système qui dispense de servir sa patrie par son courage ou par ses talens ?

ALCIDOR.

Oh ! je vous déclare que vous ne me verrez jamais aucune profession. Ce serait être trop ingrat envers la nature.

GÉRASTE.

Ho ! ho ! qu’est ceci ?

ALCIDOR.

Elle m’a placé dans cet ordre d’hommes au profit de qui les autres agissent, Juges des travaux, ils les apprécient et les récompensent par leur suffrage. Appelé uniquement à éclairer le monde et à faire les délices de la société, je ne me précipiterai point dans les classes subalternes des manœuvres de l’univers… Il y a dans ce que je dis, monsieur, un air d’orgueil qui vous révolte… Oui, je m’en aperçois fort bien, et je n’en suis, pas surpris ; mais songez que je n’épanche, que je vous initie aux plus intimes mystères, enfin que je vous donne le dernier mot de la philosophie.

GÉRASTE.

Il est vrai que je songeais, monsieur, dans cet instant à avertir au plus tôt votre famille.

  1. On aura peut-être de la peine à croire que ce mot et la phrase entière ont été écrits et prononcés de 1710 à 1743. Rien n’est plus vrai cependant, et nous copions textuellement le manuscrit.