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chef militaire de l’expédition, le capitaine Bourgeois, n’ayant pu se trouver au rendez-vous, essaya de franchir le lac plus tard avec un nouveau détachement ; mais les envoyés français et piémontais étaient avertis déjà, et le pauvre commandant en retard fut arrêté par l’autorité bernoise, jugé et exécuté sur l’esplanade de Nyon, pour apaiser la colère du souverain qui faisait alors trembler toutes les puissances. Ce fait prouve que la Suisse n’était point complice du départ des vaudois, et qu’il leur avait fallu tout d’abord déjouer la vigilance des autorités locales pour se lancer dans cette aventure étrange où nous allons les suivre.


IV.

La relation de cette expédition a été écrite par deux auteurs qui en faisaient partie, par le vaudois Renaudin et le Cévenol Hugues. Henri Arnaud a fait de leurs manuscrits un livre assez confus, connu sans ce titre : Histoire de la glorieuse rentrée, où il s’attribue le principal honneur de l’expédition. On remarque dans le manuscrit de cet ouvrage, qui est déposé à la bibliothèque de Berlin, des ratures comme dans la plupart des manuscrits vaudois, et ces ratures ont pour but d’amoindrir le rôle et d’effacer même le nom du général Turrel, réfugié français qui remplaça le capitaine Bourgeois dans le commandement militaire. Il fut élu sur le territoire ennemi, aussitôt après le débarquement, par le vote des expéditionnaires, selon la formule donnée par Janavel, « à genoux, les yeux et les mains levés au ciel, le cœur et l’âme au Seigneur. » Le corps fut divisé en dix-neuf compagnies ayant chacune son capitaine, et des soldats qui n’entrèrent pas dans les compagnies on forma trois corps détachés que la relation nomme avant-garde, corps de bataille et arrière-garde. Arnaud représentait l’autorité religieuse ; c’était un prophète souvent plus puissant, mieux écouté que le chef militaire.

Aussitôt que la nouvelle de l’entrée des vaudois en Savoie fut connue, elle causa un profond étonnement dont nous retrouvons l’écho dans les feuilles périodiques du temps. « Quelle apparence, disait le Mercure historique, que les vaudois puissent rentrer dans leur pays sans qu’on s’oppose à leur passage, sans qu’ils soient écrasés ? Comment pourront-ils lutter contre les forces de la France et du Piémont, qui les pressent des deux côtés ? » — « Il est impossible, ajoutait la Gazette de Leyde, qu’ils y retournent sans périr, quelques précautions qu’ils prennent, et la cour de Savoie peut être tranquille de ce côté-là. » Ils avaient en effet à surmonter des obstacles naturels dont la vue seule est effrayante. Ils allaient rencontrer les quatre vallées profondes de l’Arve, de l’Isère, de l’Arc et de la