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révolution défensive. Si on tentait ouvertement un coup d’état à Madrid, il n’y aurait plus sans contredit à hésiter : il ne resterait qu’à prendre les armes. Si on maintenait une ombre de gouvernement constitutionnel, il fallait aller aux élections, il fallait obtenir, sinon la majorité, du moins une de ces minorités qui en Espagne ont fini toujours par s’imposer. Cela fait, il arriverait de deux choses l’une : ou la reine se résignerait, et alors on s’établirait fortement sur le terrain parlementaire de façon à n’être plus à la merci d’un caprice, ou le gouvernement tenterait encore de se mettre au-dessus de la loi, briserait le parlement, et on se servirait des chambres dans ce cas pour résister, pour aller au besoin jusqu’à provoquer la déchéance de la reine en faisant passer la couronne sur la tête du prince des Asturies avec une régence. Je n’assure pas que tout cela eût réussi. Ce qu’il est trop aisé d’en conclure, c’est que, plus on allait, plus cette question dynastique prenait le premier pas dans toutes les préoccupations. Les uns se flattaient de trouver un roi à Lisbonne. Déjà il y avait aussi des émissaires en Italie. O’Donnell s’arrêtait au fils de la reine, et peut-être pourrait-on dire maintenant que le jour où mourait le duc de Tetuan la royauté du prince des Asturies perdait sa meilleure chance. Le duc de Montpensier apparaissait de son côté. De toutes parts et sous toutes les formes la lutte s’engageait sourdement, et le gouvernement lui-même le sentait ; mais il était plein de présomption, il allait comme un joueur imprévoyant et irrité qui épuise sa dernière fortune.

Il y avait cependant une chose qui pouvait laisser encore au gouvernement de la reine un reste de sécurité et de force, c’était la divergence incohérente de tous ces élémens d’hostilité. Seuls ou même avec leurs alliés du parti démocratique, les progressistes n’avaient que peu de chances. Ils ne pouvaient songer à un soulèvement populaire dans un pays où le peuple ne met pas la main aux révolutions, et reste le plus souvent spectateur des destinées qu’on lui fait. Ils n’avaient pas assez d’intelligences dans l’armée pour l’entraîner, et les tentatives qui s’étaient renouvelées depuis deux ans prouvaient que Prim, tout général qu’il fût, se faisait de grandes illusions sur son ascendant. L’armée n’avait pas été sérieusement entamée, et l’armée, c’est tout en Espagne. Les progressistes ne se dissimulaient pas qu’à rouvrir la lutte dans ces conditions ils s’exposaient à être battus encore une fois même par le pouvoir décrié qu’ils attaquaient. Livrés à leurs propres forces, ils étaient insuffisans, ils le sentaient, et en réalité le succès d’une révolution dépendait de ce groupe de l’union libérale où, depuis la mort d’O’Donnell, Serrano, le duc de La Torre, avait la première place, où Duke prenait une certaine initiative, où comptaient aussi