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circonstance décisive. Plusieurs de ces révoltes ressemblèrent à un commencement de guerre civile. Telle fut par exemple la levée d’armes de Miloé le diacre. Miloé était entré tout jeune dans les ordres, avait reçu le diaconat, puis s’était affranchi des liens du sacerdoce, avait pris part à toutes les guerres de Kara-George, à toutes les batailles de Milosch, et se livrait depuis 1815 au commerce des bestiaux. Ses affaires, le mettant chaque jour en contact avec les gens de la campagne, il avait eu mainte occasion d’entendre leurs plaintes au sujet de l’impôt et des corvées. N’accusait-on pas Milosch de gagner tous les ans une somme considérable sur la collection du tribut qu’il était chargé de remettre au pacha[1] ? Miloé crut que le peuple tout entier n’attendait qu’une occasion et un chef pour secouer un joug intolérable. Il organisa la révolte et en prit le commandement. Notons ici en passant, car ce fait explique bien des choses, que tous les adversaires de Milosch étaient obligés, de s’adresser aux Turcs, de compter sur les Turcs, de faire alliance avec les hommes que Milosch espérait bien un jour ou l’autre expulser à jamais du pays serbe. Miloé le diacre vit le pacha de Belgrade et lui demanda son appui. Abd-ul-Rhaïm était trop avisé pour s’engager dans une telle affaire ; l’offre du diacre n’était pas moins insensée qu’odieuse. La présence des Turcs parmi les soldats de Miloé eût aussitôt poussé sous les drapeaux de Milosch l’immense majorité des Serbes ; c’était la guerre nationale qui recommençait, la guerre de la Serbie contre la Porte, au moment où l’insurrection de la Grèce causait de si vives inquiétudes à Constantinople. Quoi ! Milosch avait refusé son concours au prince Ypsilanti, et le représentant de la Turquie à Belgrade aurait obligé le prince des Serbes à devenir malgré lui l’auxiliaire de la révolution hellénique ! Abd-ul-Rhaïm n’avait qu’un rôle à jouer, rester neutre et observer les événemens. C’est ce qu’il fit. Le diacre avait réussi à rassembler une armée de 5,000 hommes. Ces bandes portèrent l’effroi sur plusieurs points ; il y eut des actes de vengeance, des scènes de pillage ; la maison de Jovan, le frère du prince, fut saccagée à Poscharevatz, et sa femme, poursuivie par les assassins, ne dut son salut qu’à la vitesse de son cheval. Les insurgés croyaient que tout le pays allait se soulever au premier appel ; dès qu’ils surent que Milosch arrivait avec ses knèzes et que la Serbie défendait son chef, l’armée du diacre se débanda en partie ;

  1. Un des apologistes de Milosch, M. le docteur Cunibert, raconte expressément, sans toutefois en tirer au sujet de blâme, que Milosch obligeait les Serbes à lui payer en monnaie autrichienne l’impôt destiné à la Turquie, tandis qu’il avait bien soin de le payer, loi, en monnaie turque. Or, la monnaie turque valant un peu moins que la monnaie autrichienne correspondante, cette simple opération assurait à Milosch un bénéfice annuel de 300,000 francs.