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d’une législation régulière, instruction et civilisation du peuple. Hier encore, le Serbe n’était qu’un esclave étranger au sein de l’empire ottoman ; à dater d’aujourd’hui, il peut respirer à pleins poumons ; sa tête, son avoir, sa maison, ses domestiques, ne dépendent plus d’un caprice, le voilà maître chez lui. Ce n’est pas là une conquête médiocre. »

Et comment, parti de si bas, est-on arrivé si haut ? Milosch se rend ici un témoignage que l’histoire est obligée de confirmer. Cette victoire a coûté onze années d’efforts, de labeurs, de dépenses, d’anxiétés continuelles. Oui, que de frais et quelles craintes ! Que de ressources à mettre en jeu, que d’insurrections à dompter ! Au moment de toucher le but, il se sent tourmenté d’appréhensions nouvelles : il craint les désordres qui le forceront encore à sévir, il craint l’inexpérience de ce peuple, qui, n’ayant plus d’ennemis extérieurs à combattre, se tournera contre ses chefs, obéissant à son insu aux suggestions perfides de ceux qui veulent le perdre. « Avez-vous oublié ces jours sombres où nous n’avions pas même un semblant de liberté, où nous gémissions dans l’esclavage, où le peuple entier disait : Ah ! s’il y avait ici quelqu’un pour arrêter cette effusion de sang et nous recommander à la clémence du padischah ! Eh bien ! même à cette époque, combien de gens fomentaient des troubles, semaient dans le peuple des discours séditieux, allaient criant partout que j’étais avide de domination, que mon gouvernement était despotique, que mes exigences au sujet des impôts étaient impitoyables ! Que de fois aussi on m’a reproché d’avoir mis à mort les factieux ! Dites pourtant, vous qui le savez, dites quel était le but de ces hommes ! Voulaient-ils nous donner la paix et le bien-être ou nous précipiter dans l’abîme ? Qu’est-ce que les émeutes de ces derniers temps ont valu au pays ? Qu’ont produit l’insurrection du diacre, celle de Tcharapitch, celle d’Abdullah et de Dobrinjatz ? La perte d’un grand nombre d’âmes, la guerre civile, des haines fratricides, des maisons incendiées, des familles détruites, une honte éternelle à notre nom. Ceux qui me reprochent les châtimens infligés aux factieux savent-ils ce qu’exigent de nous les deux cours impériales, Turquie et Russie ? Savent-ils que ces deux cours exigent de nous l’ordre, la paix, et nous défendent toute révolte ? Et ceux qui prétendent que nulle somme d’argent ne peut me rassasier ont-ils fait le compte de tout ce qui nous est nécessaire pour nous délivrer du joug des Turcs, pour payer nos employés et ceux de la Porte ? Ont-ils songé à tout ce qu’il flous a fallu