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jadis si intolérante. Elle a déposé ses préjugés et ses préventions en voyant cette fermeté dans la revendication des droits de la conscience humaine. L’éloignement qu’elle éprouvait autrefois s’est changé en sympathie. Ce qu’il y avait d’acceptable pour une conscience catholique dans la dissidence religieuse a été peu à peu accepté, et l’idée d’une religion dépouillée de l’attirail de la puissance temporelle, cette idée, qui est l’essence même de la protestation vaudoise, a fait son chemin dans les esprits; elle a passé de l’opprimé à l’oppresseur piémontais, et a conquis peu à peu les autres parties de la nation. Aujourd’hui l’Italie est de toutes les nations catholiques la mieux préparée à l’abolition du pouvoir temporel des papes et à la séparation de l’église et de l’état. La leçon donnée par le valdisme a été lente à pénétrer, mais enfin elle a pénétré. Le faible foyer allumé sur les Alpes dès les temps du moyen âge a fini par communiquer de sa chaleur aux pays environnans. On a vu en 1848 combien la sympathie pour les vaudois avait gagné les hautes classes du Piémont. L’adresse au roi Charles-Albert pour demander leur émancipation se couvrit en quelques jours de six cents signatures, parmi lesquelles on remarquait les grands noms de ce pays, les d’Azeglio, les Cavour, les Balbo. L’émancipation fut accordée, et dès lors le ferment vaudois a pu se répandre librement dans la masse italienne et faire lever ici et là des congrégations et des églises dissidentes. Le Piémont d’abord a été envahi par la propagande vaudoise, et l’Italie a revu des colporteurs et des évangélistes plus rassis et plus calmes que ceux des XIIIe et XVIe siècles, mais non moins zélés, allant de bourgade en bourgade et semant partout la parole divine. Autour d’eux se sont groupés des centres de protestation, et aujourd’hui il est peu de villes italiennes de quelque importance qui n’ait son église dissidente. Quelques esprits chagrins, trop attachés à l’ancienne idée d’unité religieuse, ont déploré cette fermentation ; mais, en regardant attentivement aux conditions morales qui font aujourd’hui la force des nations, on est plutôt tenté de déplorer la faiblesse de l’action vaudoise ou la nature réfractaire des élémens qu’elle a rencontrés. La concurrence, la lutte et la discussion sont les conditions de la vie moderne, et il faut plaindre le peuple qui s’interdit de toucher au domaine religieux, qui abandonne les intérêts supérieurs de sa conscience au jugement sans appel d’une autorité indiscutable et infaillible, car l’immobilité dans cette sphère entraînera bientôt l’immobilité dans les sphères inférieures de l’activité humaine.


HUDRY-MENOS.