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qu’à signer un traité qu’on lui promettait de tenir secret, et qui n’était en réalité qu’une précaution prise contre les Français. Le roi de Siam daignerait alors se transporter en personne à Compot, où Norodom viendrait le recevoir, et ses torts seraient oubliés. Ces manœuvres eurent un plein succès ; Phnéa-rat, avant que M. de Lagrée le sût à Houdon, emportait du palais le traité signé par le roi. On était en novembre 1863 ; les ratifications furent envoyées de Siam le 22 janvier suivant, et c’est seulement au mois d’août 1864 que nous apprîmes l’existence et la teneur de ce traité par un journal anglais de Singapore qui le publia en entier.

Le rusé diplomate siamois sentait bien quel intérêt il y avait pour lui à tromper la France sur le but et le véritable résultat de sa mission. L’arrivée à Houdon d’un grand mandarin de la cour de Bangkok ne pouvait manquer de préoccuper M. de Lagrée, dont l’esprit toujours en éveil commençait à s’accoutumer aux ruses de cette diplomatie orientale. Cette difficulté n’avait point embarrassé Phnéa-rat ; il s’était pourvu d’un prétexte. Résolu à éviter toute conférence avec le représentant officiel de la France, qui n’aurait pas facilement pris le change sur ses desseins, il fit adresser par le roi de Siam à M. Miche une lettre informant ce dernier que le couronnement de Norodom aurait lieu dans quinze jours. Se sentant pris tout à coup d’un saint zèle pour la religion catholique et d’un grand respect pour le chef vénérable des chrétiens du Cambodge, il vint le visiter à Pinhalu. Il avait une escorte de deux cents gardes, une suite de douze éléphans couverts de housses écarlates lamées d’or, dont l’un, le plus richement paré, le portait lui-même. Quel ne dut pas être l’étonnement de l’humble évêque missionnaire en voyant l’ambassadeur du roi de Siam arriver devant sa demeure en aussi somptueux équipage et lui remettre une lettre de son souverain ! La France n’étant depuis longtemps connue dans ces contrées que par les prêtres des missions, Phnéa-rat affectait de croire que l’évêque la représentait officiellement, et passait dédaigneusement devant la porte de M. de Lagrée sans même faire arrêter son cortège. Quant à M. Miche, étranger à la politique par la nature de ses goûts comme par celle de ses fonctions, il ne vit que ce qu’on voulut lui montrer, n’entendit que ce qu’on voulut lui dire, et s’empressa d’informer M. de Lagrée du prochain couronnement. Ainsi le traité était fait, et personne n’en soupçonnait l’existence ; Phnéa-rat avait réussi.

Cependant le bruit se répandit bientôt au Cambodge que le roi de Siam se déterminait à renvoyer à son légitime possesseur l’antique couronne des vieux princes cambodgiens, mais qu’il se réservait de la placer lui-même sur la tête de Norodom en lui conférant, au jour