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transfigurés par le soleil et l’atmosphère. Nous ne savons que trop en revanche combien nos copies des temples grecs perdent leur caractère et leur beauté dans nos villes modernes, à Munich, à Paris.

L’architecture arabe n’offre au dehors en général que des lignes énormes, des murs formidables, exposés aux rayons d’une lumière aveuglante. Elle n’étale son luxe prodigieux qu’au dedans, dans la lumière adoucie qui glisse sur les coupoles, se brise dans les triangles sphériques suspendus comme des stalactites, passe entre les forêts des colonnes semblables aux palmiers des oasis. L’asile d’ombre et de fraîcheur se revêt comme d’un tissu léger d’ornemens fins, déliés, où la religion défend d’introduire aucune figure humaine, et qui, sans vie par conséquent, ne peuvent rappeler que les étoffes de l’Orient, les riches damasquinures des armes, les remous des sources agitées, les enluminures délicates des manuscrits du Koran. L’œil se perd dans le labyrinthe sans issue de ces broderies, et trouve un plaisir particulier dans ce désordre où la symétrie fait retrouver l’ordre. Saint-Marc étale bien au dehors autant qu’au dedans le luxe de ses ornemens et le clinquant de ses couleurs, mais la lumière de Venise est la lumière mouillée, irisée des lagunes, lumière des plus favorables, comme celle de la Hollande, au détail, à l’ornement, aux jeux de la couleur.

Ces harmonies secrètes entre l’architecture et les climats ne reposent pourtant pas sur un simple phénomène physique. L’architecture sans doute parle aux sens, elle emploie même quelquefois cette beauté tout à fait brute qui naît de la simple grandeur. Il est hors de doute, par exemple, qu’au milieu du désert les pyramides sont belles : elles étonnent par leur énormité ; petites, elles seraient insignifiantes et ridicules. L’église gothique aussi cherche le grand, il semble qu’elle tende d’un effort surhumain vers le ciel et cherche à écraser de sa masse les maisons des hommes ; mais à ces impressions purement matérielles se mêle toujours une pensée : le monument est toujours une conception de l’esprit, la forme d’un idéal. En Égypte, il exprime l’orgueil insensé d’une tyrannie qui emploie des milliers d’hommes à un labeur purement mécanique. La pyramide pesante, enfoncée dans le sable, semble défier le désert ; c’est une montagne que l’homme a fait surgir au milieu de la plaine sans limites, elle ignore le temps, elle exprime en traits immortels et sobres une civilisation qui ne connaissait plus le progrès, qui ne comptait plus les siècles ni les dynasties royales, qui déposait lentement des alluvions humaines comme le Nil dépose son limon annuel.

L’art grec, dont la proportion est l’âme, n’a pas toujours dédaigné la grandeur, surtout à ses débuts, quand il gardait encore une sorte