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la fleur délicate de la civilisation[1]. Il a tout simplement horreur de la guerre, et par ce côté il est, il sera longtemps encore le poète du XIXe siècle. Byron a dépouillé la guerre de sa noblesse, et cette fois la crudité des expressions est de l’humanité, le cynisme est une salutaire leçon.


« Trois cents canons jetèrent leur émétique, trente mille mousquets lancèrent leurs pilules aussi dru que la grêle, pour opérer un écoulement sanguin. Mortalité ! tu as tes factures mensuelles : tes pestes, tes famines, tes médecins, font tinter dans nos oreilles les maux passés, présens et à venir, comme le pou de bois dans sa poutre ; mais tout cela doit céder à la peinture fidèle d’un champ de bataille.

« Là sont les angoisses toujours nouvelles, se multipliant jusqu’à ce que les hommes s’endurcissent par l’infinie variété des agonies, qui rencontrent le regard partout où il se porte. Le gémissement étouffé, la convulsion de l’homme se roulant dans la poussière, les yeux tout blancs tournant dans leurs orbites, voilà la récompense qui attend des rangs, des colonnes entières, des milliers d’hommes ; le reste obtiendra peut-être un bout de ruban à se mettre sur la poitrine. »


Il n’y a pas moins d’exactitude et de fidélité dans le détail de la prise d’Ismaïl que dans la tempête du second chant. C’est encore ici la réalité historique interprétée par la plus puissante imagination. Le poète a choisi les circonstances les plus favorables pour engager son duel avec l’esprit guerrier : une ville qu’un Potemkin a ordonné de prendre à quelque prix que ce fût, une armée de mercenaires, beaucoup de sang et de cruautés, une relation détaillée de ces horreurs dans l’Histoire de la Nouvelle-Russie. Il y ajoute ses éloquens sarcasmes contre les bouchers soudoyés, surtout contre les bourreaux en chef, et il livre alors sa bataille suprême contre la guerre. Ce sera l’éternel honneur de Byron d’avoir combattu le préjugé de la gloire militaire dans le temps même où la guerre avait placé son pays au premier rang. L’impression produite par son courage autant que par son talent a été une victoire de la civilisation. Il a commencé par la poésie l’œuvre d’humanité que le progrès de la science et des arts de la paix a continuée. Guerre et carnage, terreur et souffrance, amour, liberté, ces dix premiers chants contiennent tout le clavier de la poésie de Byron, comme aussi tout le domaine de sa philosophie. Que faut-il penser des suivans ?

Il serait malaisé d’esquisser un ensemble des sept derniers chants

  1. Introduction à l’Histoire de la philosophie. — M. Cousin a voulu répondre à de Maistre ; en combattant un paradoxe, il est devenu lui-même paradoxal.