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LA SERBIE AU XIX* SIÈCLE.


mement des Serbes, ni la réintégration des janissaires. Il semblait que de part et d’autre on fût sur le point de s’entendre. Tschélébi Effendi, homme grave, diplomate expérimenté, disait que dans sa longue carrière il avait mené à bonne fin plus d’une affaire épineuse et qu’il espérait bien dénouer pacifiquement celle-là. Était-ce une parole hypocrite, ou bien fut-il déconcerté lui-même par la marche des événemens ? Il serait difficile de le dire. Une chose certaine, c’est que la seule réponse aux propositions de Kara-George fut l’ordre donné à Kurchid-Pacha d’envahir le pays serbe et de soumettre les rebelles. Et comment pouvait-on compter de la part des Turcs sur une interprétation équitable du traité de Bucharest ? Tout favorisait la politique de Mahmoud : il avait repris la Moldavie et la Valachie, il était maître du pachalik de Widdin ; les villes saintes d’Arabie, tombées au pouvoir des wahabites, venaient de lui être restituées, et les clés avaient été apportées solennellement à Constantinople ; en outre il était rassuré du côté des Russes, car on apprenais à ce moment-là même que Napoléon les avait battus à Lutzen (2 mai 1813). Quelles plaintes d’ailleurs pouvait élever la Russie, à supposer qu’elle eût le temps de surveiller les événemens du Danube ? Au point de vue où se plaçait la diplomatie ottomane, c’était la Serbie qui refusait d’obéir au traité de Bucharest, c’était Mahmoud qui obligeait Kara-George à respecter la signature du tsar. L’occasion était bonne pour dompter les raïas et rétablir l’ancien ordre de choses.

La guerre s’annonça terrible, guerre de tout un empire contre une de ses provinces. Se rappelle-t-on les épisodes de 1806, alors qu’un pacha de Bosnie, croyant au-dessous de sa dignité de marcher en personne contre les Serbes, s’était fait remplacer par son lieutenant ? Cette fois, M. Ranke a très justement signalé ce contraste, cette fois c’est le grand-vizir en personne, c’est Kurchid-Pacha qui se porte contre les bandes de Kara-George avec toutes les forces de la Turquie. S’il faut en croire plusieurs indices, cette guerre toute locale faisait partie de certaines combinaisons qui la rattachaient aux grandes affaires de l’Europe. Le représentant de Napoléon à Constantinople, le général Andréossi, affirme dans ses Souvenirs que la Turquie en 1813, malgré le traité de Bucharest, était beaucoup moins engagée qu’on ne le croyait avec les puissances alliées contre la France. Il n’eut pas grand’peine, dit-il, à faire prévaloir des plans conformes aux instructions qu’il avait reçues. Quels plans ? quelles instructions ? Le général est très discret là-Jessus. Toutefois, en rapprochant des documens turcs certaines paroles de l’ambassadeur français, M. Ranke incline à croire que la Turquie, d’accord avec la France, voulait empêcher l’Autriche de se joindre à la coalition européenne contre l’empereur. D’une part, le général