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pour l’instant il n’y avait qu’à exécuter les ordres du roi. Forbin se retira désespéré, tout en acceptant le commandement de l’expédition, parce qu’il ne savait reculer devant aucun péril ; néanmoins il voulait tenter un dernier effort auprès de Louis XIV, et se trouva sur son passage. Le roi était prévenu ; aussi, dès qu’il vit s’avancer le comte : « Monsieur de Forbin, lui dit-il, je vous souhaite un bon voyage, je suis occupé, et je ne puis vous entendre pour le présent. » Il ne restait plus qu’à partir. Forbin se rendit immédiatement à Dunkerque, et, bien que détestant l’expédition dont on l’avait chargé, il mit tout en œuvre pour la faire réussir. L’intendance avait proposé un projet vraiment absurde, celui d’embarquer les troupes sur des flûtes marchandes, capables, à la vérité, de porter chacune 500 hommes, mais mauvais bâtimens qui, ne pouvant en un jour de combat ou de gros temps virer de bord ou doubler une côte, étaient exposés à devenir la proie du moindre croiseur. Forbin fit révoquer ce projet, et remplaça les flûtes par trente corsaires de Dunkerque, obéissans et fins voiliers, qui lui étaient familiers de longue date. Cela faisait un plus grand nombre de bâtimens, mais il les tenait plus aisément sous sa main. Les armateurs les lui confièrent sur son crédit, s’associant à toutes les chances de l’expédition projetée. Il parvint, en épuisant l’arsenal et avec les plus grands efforts, à se procurer les sabres, les fusils, la poudre et les munitions nécessaires. Les troupes, venues de Saint-Omer, étaient prêtes à embarquer. On n’attendait plus que Jacques III. Ce prince parut enfin ; mais deux jours après son arrivée il fut attaqué de la rougeole, et son médecin déclara qu’il ne répondait point de ses jours, s’il s’embarquait dans cet état. Le départ fut différé, et pendant ce temps une flotte anglaise de 48 vaisseaux, commandée par l’amiral Byng, vint mouiller à Gravelines, à deux lieues de Dunkerque. Alors Forbin, qui n’augurait toujours rien de bon de l’expédition, sollicita de nouveau la révocation de l’ordre de départ, se fondant sur la maladie du roi et sur la présence de l’amiral Byng. Il eût peut-être réussi, si la flotte anglaise n’eût précisément été forcée de prendre le large et de se réfugier aux dunes. Le comte de Gacé et les seigneurs anglais redoublèrent d’instances auprès de la cour ; ils l’emportèrent, et l’ordre fut maintenu. Vivement pressé par ses passagers d’appareiller malgré le mauvais temps, presque menacé, Forbin, qui épiait une circonstance favorable, leur répondait avec son humeur railleuse : « Si vous persistez à faire embarquer le roi, il me faudra obéir ; mais, faites-y bien attention, je vous ferai tous noyer. Quant à moi, je ne risque rien ? je sais nager, et je me tirerai bien d’affaire. » Enfin Jacques III donna lui-même l’ordre du départ, et la flotte appareilla au nombre de 5 vaisseaux et de 30 corsaires.