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spectateur ne s’étonne pas trop de voir les deux amans, désormais inséparables, s’élever au-dessus des flots noirs dans une gloire rayonnante pendant que l’orchestre ému fait succéder aux fureurs de l’océan le thème de la rédemption, entonné d’abord par Senta.

Il est aisé de voir ce qu’il y a d’insolite et d’inachevé dans cette mise en scène. Le héros est placé en un cadre si fantastique qu’on a peine à deviner du premier coup le fond très humain de sa nature, et le passage du monde réel au merveilleux symbolique est d’une extrême brusquerie. Cela n’empêche pas que l’idée ne soit belle, la situation émouvante, l’inspiration d’un seul jet et d’un grand souffle. Quant à la musique, elle ne renferme pas encore d’innovation capitale. Manque de clarté dans les dessins de l’orchestre, déclamation parfois monotone, hésitations entre le récitatif et l’air, ces défauts sont visibles. La nouveauté de cette musique est dans l’effet qu’elle produit. Si jamais la sombre poésie de l’océan implacable a été exprimée d’une manière terrible, c’est dans le premier acte ; on y entend comme la voix du Styx, ce grondement éternel de la vague qui ne se lasse ni ne pardonne. Et par opposition quelle paix intérieure, quelle mansuétude infinie dans le chant de Senta, mélodie d’une douceur, d’une confiance angélique, toujours accompagnée de la harpe, et qui nous dévoile instantanément le cœur de l’héroïne ! Ce violent contraste entre le voyageur maudit, désespéré, et la jeune fille aimante, altérée de sacrifice, qui veut l’arracher à l’abîme, la sympathie magnétique entre l’immensité du malheur chez cet homme et l’immensité de l’amour dans le cœur d’une femme, ces deux âmes qui s’attirent, s’étreignent et trouvent dans la mort la suprême félicité, c’est là tout le drame. Dans la plupart des opéras, le livret n’est là que pour fournir un prétexte à la musique. Ici la musique n’est là une pour le drame. Se refusant tout écart, elle s’attache fidèlement à la parole, accentue les passions dominantes des personnages par des motifs caractéristiques, colore la scène et achève le tableau. Rien de plus juste ; si le drame musical veut être conséquent avec lui-même, la musique n’ajoutera ses enchantemens à ceux de la scène que pour renforcer l’émotion, soutenir l’action, vivifier la poésie. C’était la pensée de Gluck ; M. Richard Wagner l’a reprise et agrandie. Le Vaisseau fantôme est son premier pas dans cette voie. Il devait arriver à Tannhäuser et à Lohengrin non par système, mais par la seule force de son instinct dramatique.


II

Cette fois la persévérance de l’artiste fut couronnée de succès. Il reçut en même temps deux nouvelles heureuses : Rienzi était