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de l’autre, se livrent à ce honteux trafic. Lorsque j’interrogeais un mandarin sur la valeur des principales marchandises dans son village, il ne manquait jamais, après m’avoir parlé du riz, du coton ou de la soie, de mentionner les esclaves, dont le prix varie comme celui des autres choses, suivant les lois de l’offre et de la demande. Les jeunes filles belles et vierges sont vendues aux gens riches, qui achètent une maîtresse aussi cher qu’un éléphant de luxe.

Parmi les tribus qui ont préféré les chances de leur existence presque nomade à la sécurité fondée sur un vasselage peu gênant, quelques-unes, devenues féroces, poursuivent les étrangers de leur haine, et les frappent de leurs flèches empoisonnées. Sur la rive gauche du Mékong, à la hauteur du Tonkin, les Laotiens, si convaincus cependant de leur supériorité, nous avouaient que cent d’entre eux n’oseraient pas se mesurer avec dix de ces farouches enfans des forêts. Ceux-ci usent d’ailleurs de représailles, et trafiquent aussi à l’occasion de la liberté de leurs ennemis. J’ai vu un Annamite des environs de Tourane, pris par les sauvages des montagnes, vendu, revendu et devenu, en fin de compte, la propriété d’un mandarin laotien. Ces tribus portent un grand nombre de noms différens. Dans la partie inférieure et moyenne du bassin du Mékong, on remarque les Mois, les Chiâmes, anciens habitans du royaume de Tsiampa et qui professent la religion musulmane, les Stiengs, les Penongs, les Cuys, les Charaïs ou Giraïes, etc. Ce sont là peut-être les anciens possesseurs du sol, battus et chassés dans les bois par les envahisseurs qui se sont établis sur les bords des grands fleuves et des rivières principales. Des différences radicales séparent du cambodgien et du laotien les divers idiomes sauvages, idiomes qui paraissent pour la plupart unis entre eux par des traits frappans de ressemblance générale. D’après les renseignemens fournis à M. Mouhot par les Stiengs, chez lesquels il a séjourné, les Chiâmes comprendraient le charaï et les Cuys parleraient la même langue que les Stiengs eux-mêmes. Les tribus qui ont accepté la suzeraineté de Siara ou du Cambodge présentent une ébauche d’organisation analogue à celle qu’on trouve dans les villages cambodgiens ou laotiens. Celles qui ont tenu au contraire à demeurer indépendantes pratiquent l’égalité absolue et ne reconnaissent pas de chef. Leurs membres vivent dans une sorte de communisme, partagent la disette ou l’abondance, et se font remarquer par ce défaut caractéristique des enfans et des sauvages, l’imprévoyance, qui est une des formes de la confiance absolue dans la nature.

Les Charaïs entourent de vénération deux personnages de leur tribu qui portent l’un le nom de roi du feu, l’autre celui de roi de l’eau. Le roi du feu est le plus important. Un grand sabre rouillé