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Tandis que le marquis s’exerce à tirer de sa situation des effets comiques, Minc de Rochefort, toujours attentive à ce qui peut lui être agréable ou utile, témoigne son amitié d’une manière plus effective. L’exilé, en arrivant au Bignon, a trouvé non sans surprise dans son écurie, où ne figuraient que des chevaux d’attelage, un fort joli petit cheval de selle très doux destiné à ses promenades. Il croit d’abord que c’est le duc de Nivernois qui lui fait ce présent, et c’est à lui qu’il adresse ses remerciemens ; mais il faut bien lui apprendre. que c’est Mme de Rochefort qui s’est procuré ce cheval à son intention en donnant en échange au vieux marquis d’Ussé un beau cabaret de porcelaine. Il se confond alors en témoignages de reconnaissance, et l’excellente femme lui répond :


« 14 janvier 1761.

« Je suis ravie, mon cher ami, que la petite bête vous plaise et vous soit utile. C’est un véritable marché de l’âge d’or que j’ai fait pour mes deux amis. Le pauvre marquis d’Ussé vient d’être malade, et on l’a mis au lait, et vous, on vous a mis à la campagne pour toute nourriture. J’ai donc pensé qu’il vous fallait un cheval, et à d’Ussé un pot au lait. Il me semble que si tout le monde s’entendait aussi bien, il serait aisé de s’arranger à peu de frais. Je vous recommande toujours l’exercice, et je vous interdis toute autre écriture que des lettres ; je n’ai pas le courage de vous réprimer sur celle-là, parce que j’y suis trop intéressée. Mme de Pontchartrain[1] a été un peu incommodée, elle est mieux présentement. M. de Nivernois est toujours assez misérable, et il continue de petits remèdes pour se soulager d’un état vaporeux qui est fort insupportable, et qui va le peiner plus que jamais, parce qu’il lui est survenu de la besogne. Il jouit depuis le 1er janvier de la dignité de directeur de l’Académie, et les académiciens tombent comme la grêle. Le pauvre abbé Sallier est déjà mort, l’abbé de Saint-Cyr est à l’agonie, et l’abbé du Resnel menace ruine. Voilà ce qu’il aura pour son trimestre. Or il aimerait bien mieux n’avoir à faire que de la musique, et en effet cela vaudrait bien mieux pour ses nerfs. Voilà tout ce que je puis vous dire de plus intéressant, car, quand je vous parlerais de tous les bals et de toutes les fêtes, vous en seriez peu touché, et d’ailleurs je n’ai pas de talent pour ces sortes de relations. Adieu, mon très cher ami, vous savez ce que je suis pour vous. »


Après s’être occupée des promenades de son ami exilé, Mme de Rochefort s’occupe de ses lectures. Il vient de paraître un roman qui fait beaucoup de bruit, elle voudrait le lui faire lire ; mais elle se croit tenue à des précautions oratoires.

  1. La belle-mère du duc de Nivernois.