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immédiatement que le caractère distinctif des liaisons d’amour est de se déguiser en amitié, et il cite ensuite une phrase fort usitée alors dans la haute société française, qui traduit brutalement ces rapports de prétendue amitié par l’emploi du verbe avoir. Nous avons déjà fait remarquer qu’à l’époque où Walpole parle ainsi M. de Nivernois et M00 de Rochefort ont tous deux cinquante ans ; mais nous ne pouvons pas oublier qu’ils se sont connus très jeunes, qu’ils ont vécu dès l’âge de vingt ans dans la même société, et qu’après une liaison qui paraît s’établir sur le pied de l’intimité surtout à partir du retour de l’ambassade de Rome vers 1752, et qui dure ainsi jusqu’au 10 mars 1782, date de la mort de la duchesse de Nivernois, les deux amis, âgés tous deux de soixante-six ans, se marient le 14 octobre 1782, c’est-à-dire si précipitamment qu’ils ne laissent pas même écouler le temps voulu pour le deuil de la défunte duchesse.

François (de Neufchâteau), qui, dans un éloge académique, n’était pas tenu de chercher la stricte vérité, nous dit à ce sujet qu’après la mort de sa femme le duc de Nivernois épousa une de ses parentes à lui, Mme de Rochefort, « l’amie et la société de Mme de Nivernois pendant quarante ans. » Il semble dire qu’il l’épousa parce qu’elle était l’amie de sa première femme. Cela n’est exact qu’à moitié, il l’épousa principalement parce qu’elle était son amie à lui ; mais le fait des bons rapports entre la femme et l’amie qui devait la remplacer est confirmé par la correspondance intime que nous avons entre les mains. Il ne l’est toutefois qu’avec des nuances assez curieuses pour valoir la peine d’être indiquées. Dans cette correspondance, il n’y a pas, il est vrai, une ligne qui nous permette de nous prononcer directement et avec certitude sur le caractère de la liaison de Mme de Rochefort et du duc de Nivernois. Ce que dit Walpole sur la rigoureuse prohibition du dictionnaire de l’amour se trouve ici parfaitement vérifié. Mme de Rochefort fait en quelque sorte partie de la famille de son ami. Cependant la gradation de ses sentimens pour chacun des membres de cette famille est très visible. Le premier objet de son affection, celui duquel elle parle sans cesse, c’est d’abord et avant tout le duc de Nivernois. Ce qu’il pense, ce qu’il fait, ce qu’il dit, le détail des accidens journaliers de sa frêle santé, de ses maux de nerfs et de ses vapeurs, voilà ce qui occupe continuellement la comtesse. Ce duc, si gracieux à la cour, à l’Académie ou dans un salon, avait d’autant plus de mérite à l’être qu’il l’était en quelque sorte à son corps défendant. Dans l’intimité, il est essentiellement « vaporeux. « Il n’a point les brusqueries violentes du marquis de Mirabeau ; mais avec beaucoup de douceur il a les inégalités fantasques et mélancoliques d’un enfant