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confirmer dans l’idée que j’ai toujours eue, et qui m’a sauvé de faire aucune sottise, qui est qu’un homme qui suppose pouvoir trouver un bon conseil dans une femme se trompe. » Le marquis feint de ne pas comprendre ce qui le regarde dans cette réflexion, et il ne répond qu’à ce qui a trait au récent mariage ; mais sa réponse n’est pas moins significative que la phrase de son frère. « Je ne t’ai pas mandé ce mariage, lui répond-il, comme un chef-d’œuvre ; j’ai trouvé, comme toi, que c’était la cinquantaine qu’on fêtait. Je te l’ai écrit quand M. de Nivernois m’en donna part comme d’une occasion de compliment, si l’on voulait ; je ne suis pas étonné que tu n’aies trouvé la matière un peu sèche. »

Les affirmations si catégoriques du marquis de Mirabeau et de son frère ne nous permettent plus guère, on le voit, de nous en tenir à l’hypothèse vertueuse de François (de Neufchâteau) ; mais la situation de Mme de Rochefort n’en garde pas moins un certain caractère de réserve et de délicatesse discrète qui la distingue des arrangemens du même genre si fréquens au XVIIIe siècle. Elle nous aide aussi à nous expliquer la précipitation, un peu choquante au premier abord, de ce second mariage. Il nous paraît probable qu’après avoir vu mourir la duchesse de Nivernois, Mme de Rochefort, se sentant elle-même menacée de très près, ne voulait pas mourir sans être légitimement unie à celui qu’elle avait si longtemps aimé et sans porter son nom. Elle était donc pressée, et elle avait raison de l’être ; si elle eût attendu seulement l’expiration du deuil de la défunte duchesse, son désir eût été déçu, puisqu’elle cessa de vivre cinquante jours après son mariage[1]. Son caractère, tel qu’il se révèle par ses lettres et par le témoignage de tous ses amis, nous permet d’affirmer qu’elle aussi « fut douce envers la mort, » tout en regrettant la vie. Elle dut en effet la regretter d’autant plus que son idéal de bonheur se réalisait si tard et durait si peu. Mariée à vingt ans par convenance et bientôt veuve, ayant probablement dès cette époque distingué l’homme qui ne pouvait pas être son mari et qui devait être néanmoins le principal objet de ses affections, elle ne connut que dans sa vieillesse et pendant quelques jours le genre de bonheur qu’elle avait constamment rêvé, et qu’elle exprime parfois avec tant de charme dans le petit volume qui fut imprimé après sa mort.

Parmi les pensées qui forment la meilleure partie de cet ouvrage, en voici une qui déplaira probablement aux femmes plus

  1. François (de Neufchâteau) se trompe quand il dit que Mme de Rochefort mourut le vingt-sixième jour de son mariage. Nous avons consulté tous les journaux du temps, et ils ne varient pas sur les dates. Le mariage est indiqué par tous et par le marquis de Mirabeau comme ayant eu lieu le 14 octobre 1782, et la mort le 5 décembre suivant.