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mais très bien plantée, très bien cultivée, l’île de Porto-Rico a une population libre de 560,000 âmes et seulement 42,000 esclaves.

Ces chiffres montrent combien dans les deux îles le travail libre a déjà pris les devans sur le travail servile. A Porto-Rico, 10,000 esclaves seulement sont employés aux travaux de l’agriculture, auxquels se consacrent librement 241,037 hommes de couleur. Il y a en outre un très grand nombre de travailleurs blancs dans les plantations, ainsi qu’un très grand nombre de petits propriétaires sans esclaves. On peut affirmer que les trois quarts de la production sont déjà le fruit du travail libre, et on n’est pas surpris d’entendre presque tous les habitans réclamer l’abolition immédiate de l’esclavage avec ou sans indemnité. Cuba n’est pas dans une position aussi favorable. Cependant la civilisation y est assez avancée, les ressources naturelles y sont assez grandes, pour que l’on puisse assurer que cette société riche, élégante, cultivée, généreuse, rougit de l’esclavage, et qu’elle est en mesure de renoncer enfin sans se ruiner à l’injustice et à la violence. Les blancs peuvent fort bien travailler sous le climat des Antilles espagnoles. Les campagnes cubaines renferment dans les plantations de tabac, les sucreries, les cafétaux, 440,000 blancs contre 288,000 esclaves et 100,000 libres de couleur. La population blanche, qui était de 133,000 habitans seulement en 1791, atteint actuellement 800,000. Cuba est en effet sur la limite extrême qui sépare la zone intertropicale de la zone tempérée ; le climat est rafraîchi pendant l’été par les pluies et par les brises de l’Océan, et la température moyenne est de 26 degrés centigrades. La statistique officielle, dressée par un homme très honorable et très intelligent, don José de Frias, mort récemment, évalue pour l’année 1862 la production agricole de l’île (produits bruts) à 646,552,000 francs, la production industrielle et commerciale à 768,446,000 francs. Le chiffre officiel des importations et des exportations est immense. On sait que Cuba exporte tous les ans, entre autres produits, 500 millions de kilogr. de sucre et plusieurs millions de kilogr. de tabac, sans parler du café et du cuivre.

Ce n’est pas seulement aux dons de la nature et aux efforts du travail que Cuba doit sa richesse, c’est aussi aux malheurs de ses voisins. Cuba a profité de la ruine de Saint-Domingue, de l’anarchie des républiques séparées de l’Espagne, des souffrances des Antilles anglaises et françaises, de la guerre des États-Unis et de la guerre civile du Mexique. Comme une manufacture qui garderait ses ouvriers sans les payer, pendant que les manufactures voisines seraient exposées à la hausse des salaires, aux grèves et à l’incendie, cette oasis de la servitude s’est enrichie par les désastres de ses rivales. Il convient d’ajouter qu’elle a profité aussi, cette