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de ligne qui n’ait, pour ainsi parler, sa jumelle dans la figure ou dans le groupe correspondant à la place qu’elle occupe, point de contours ni de couleurs qui des deux côtés ne semblent converger vers le centre de la scène comme vers un foyer d’intérêt et d’effet principal. Si rigoureux qu’ils soient néanmoins, tous ces calculs n’expriment pas seulement la patience scientifique, toutes ces combinaisons n’ont pas pour résultat unique l’harmonie matérielle de la décoration. L’esprit trouve son compte dans les moyens employés pour contenter le regard, et si l’un des deux hémicycles nous montre la croix entourée d’anges s’élevant très heureusement au milieu des rois des deux premières races pour soutenir les lignes environnantes ou en apaiser le tumulte, si le groupe central laisse à la figure de Jeanne d’Arc une prédominance motivée par des exigences toutes techniques, il y a là, il y a dans le choix des autres élémens dont l’œuvre se compose les témoignages d’une pensée aussi hautement ingénieuse que sincèrement préoccupée de la vérité historique. En reproduisant les faits sous leurs formes exactes et caractéristiques, le pinceau de M. Lehmann travaille surtout à en dégager la moralité ; mais ces intentions philosophiques n’affectent plus, comme dans les premiers tableaux du peintre, les apparences d’un dogmatisme gourmé, de même que les procédés de l’exécution sont maniés ici avec une habileté moins laborieuse, avec une finesse ou une énergie moins compliquée.

D’où vient pourtant qu’un travail aussi remarquable à tous égards ait passé d’abord à peu près inaperçu, et qu’aujourd’hui encore, malgré l’espèce de renaissance qui depuis quelques années a renouvelé la réputation de l’artiste, les peintures de la salle du trône demeurent en général moins appréciées ou moins connues que d’autres œuvres relativement secondaires de la même main ? Certes rien de plus légitime que l’estime où l’on tient maintenant les portraits peints par M. Lehmann à diverses époques ; mais puisque ses plus récens ouvrages en ce genre ont rappelé l’attention sur ceux qui les avaient précédés, puisque de ce côté les succès présens ont amené une rétractation de l’indifférence passée et comme un regain de justice, il serait juste aussi de relever là où ils se trouvent des titres plus sérieux encore, et de contrôler tout au moins par ce surcroît de preuves l’autorité de celles que l’on a recueillies ailleurs.

Quoi qu’il en soit, cette partialité même du public est jusqu’à un certain point excusable, et des mérites exceptionnels expliquent les préférences de l’opinion pour les portraits dus au pinceau du peintre de la galerie de l’Hôtel de ville et des hémicycles du Luxembourg. M. Lehmann est sans contredit le portraitiste le plus savant, le plus sûrement habile que possède aujourd’hui notre école. Pour ne citer que ces exemples parmi les plus récens, les toiles