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échelonné. Il n’y a point à se payer d’illusions, le centenaire de Napoléon coûtera encore assez cher. L’honorable M. Magne, qui trouve la dépense « juste, humaine, opportune, » et sur ce point il n’y a pas même à discuter, M. Magne pourrait-il assurer qu’il savait ce qui allait arriver, et que, s’il eût été prévenu d’avance, il n’aurait eu à faire aucune observation d’un ordre financier ? C’est là précisément ce signe caractéristique que nous voulions mettre en lumière, cet inconvénient d’un système intervenant à l’improviste par des propositions inattendues, infligeant à un ministre des finances la nécessité instantanée et toujours cruelle de plier sa conviction à un fait accompli, imposant à une assemblée qui n’a plus que quelques heures à vivre un vote d’obligation et de miséricorde.

Ainsi est mort le corps législatif, mettant son dévoûment dans un dernier vote, et avec lui c’est la troisième législature du second empire qui s’achève. Dix-huit années sont passées en effet depuis les événemens qui ont préparé, déterminé la résurrection de l’empire. Trois fois déjà le suffrage universel a été interrogé, il va répondre aujourd’hui à un quatrième appel en élisant un nouveau corps législatif. Pendant ces dix-huit ans, quel chemin avons-nous fait ? quelles œuvres ont été accomplies ? quel est le caractère de cette période politique assez longue déjà pour pouvoir être jugée dans ses résultats ? Qu’on écarte des origines qui ne sont plus que de l’histoire. La France est-elle en progrès, est-elle en décadence ? La question peut sembler naïve, elle vient pourtant d’être traitée fort sérieusement, un peu lourdement et avec un grand appareil de chiffres par unie brochure officielle qui a pour titre : Progrès de la France sous le gouvernement impérial, et qui a certainement la bonne volonté d’être un programme d’élections. La question est naïve, disons-nous, parce que, heureusement pour l’honneur de notre siècle, on ne peut point admettre qu’un gouvernement qui ne ferait rien, qui ne donnerait satisfaction à aucun intérêt, fui romprait avec tous les progrès des sociétés modernes, pût subsister vingt ans. Un régime qui ne serait qu’une violence sains compensation faite à tous les instincts d’un pays pourrait à la rigueur s’imposer un instant, quelques mois, quelques années ; il ne durerait pas indéfiniment, ou sa durée ne serait plus que la vivante et fatale attestation de l’irrémédiable engourdissement d’un peuple. Ce n’est donc rien dire, ou c’est du moins s’arrêter au côté le plus vulgaire et le plus insignifiant des choses que de rassembler des bataillons de chiffres en les groupant sous ce beau nom de progrès. La question est de savoir de quelle nature est ce progrès, quelle en est la signification, quelles garanties et quels gages d’avenir il porte en lui-même ; la question est surtout de savoir si la France a grandi en considération, en dignité morale, en influence intellectuelle, si elle a reculé ou avancé sur ce chemin de la liberté où se pressent les nations contemporaines. Voilà ce qui ne se mesure point par des chiffres.

Assurément la brochure a souvent raison dans ses sèches