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gées, des mères écrasées avec leurs enfans. À force de violences, toute cette foule fut expulsée, dispersée, poursuivie à coups d’épée jusque dans les rues ; mais personne ne rentra dans les églises.

Cette funèbre journée du samedi saint présenta pourtant dans la matinée un spectacle plus consolant. Les quarante ou quarante-deux évêques qui formaient le parti de Chrysostome au concile tentèrent un dernier effort pour le sauver. Avertis que l’empereur et l’impératrice visitaient ordinairement les martyres l’un après l’autre (on appelait de ce nom dans la primitive église les basiliques et chapelles où étaient déposés les corps des saints morts pour la foi), ils épièrent le moment d’approcher l’empereur, et, se jetant à ses pieds, ils le conjurèrent avec larmes « d’épargner l’église du Christ, surtout en considération de la pâque et des catéchumènes qui attendaient le baptême, de leur rendre leur évêque. » L’empereur les écoutait ; l’impératrice les éloigna avec hauteur. Alors un d’entre eux, Paulus, évêque de Cratie, se levant indigné, lui dit : « Eudoxie, crains Dieu et aie pitié de tes enfans ; ne viole pas la sainte solennité du Christ par des effusions de sang. » L’impératrice passa outre. Les évêques consternés se séparèrent ; chacun reprit avec tristesse le chemin de sa maison, ceux-ci pour aller pleurer sur les maux de l’église, ceux-là pour vaquer chez eux aux devoirs de la prière, craignant de se souiller dans les basiliques où régnaient les persécuteurs.

La dispersion des fidèles aux thermes de Constance avait eu lieu pendant la première veille de la nuit ; les fidèles s’étaient ralliés dans diverses directions, et, appelant à eux d’autres catholiques, étaient allés par groupes dans la campagne continuer avec leurs prêtres l’office du samedi saint, qui, d’après l’ancien rituel, ne se terminait qu’au chant du coq. Un de ces groupes, composé de plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfans au milieu desquels se distinguaient les catéchumènes en robe blanche, s’établit dans un champ près du lieu appelé Pempton, parce qu’il contenait la cinquième borne milliaire à partir du forum de Constantinople. Le lendemain, jour de Pâques, de grand matin, l’empereur, allant faire sa promenade accoutumée hors des murs suivi de son escorte, aperçut, non sans étonnement, cette foule réunie dans un champ, et les robes blanches des catéchumènes qui semblaient resplendir aux premières clartés du soleil. « Qui sont ces gens-là ? demanda-t-il avec curiosité à l’un des officiers qui l’accompagnaient. — Ce sont, répondit celui-ci, des fauteurs d’une secte hérétique qui se réunissent là pour braver l’église. — Eh bien ! dit l’empereur, qu’on les chasse d’ici et qu’on saisisse leurs docteurs. » Puis il prit un autre chemin. Les soldats envoyés pour l’exécution arrivèrent au galop de leurs montures et fondirent sur cette masse dés-