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s’attaque à la puissance même de l’esprit humain et le déclare incapable de connaître le fond des choses, la réalité en soi. Suivant M. Jouffroy, l’homme croit par instinct et doute par raison. On serait tenté de croire que M. Guizot adhère à cette parole, qui semble n’être sous une autre forme que sa propre doctrine ; mais il ne consent point à nommer instinct cette intuition de la réalité intérieure et extérieure qui est le fait primitif de la connaissance. Ce fait élémentaire est méconnu par les sceptiques, comme la dualité de l’homme par les matérialistes, comme la personnalité par les panthéistes, comme le cœur et ses instincts spontanés par le rationalisme, comme l’élément surnaturel par le spiritualisme.

Ainsi tous les systèmes de philosophie mutilent la nature humaine, pas un seul ne résout les problèmes posés par le genre humain. Aux obscurités, aux contradictions, aux lacunes des solutions philosophiques, M. Guizot oppose la clarté, la fécondité des solutions chrétiennes. Il n’est pas de ceux qui croient que la religion ne doit satisfaire que le cœur. L’homme demande à la religion autre chose que des jouissances nobles et pures : il lui demande la lumière en même temps que la sympathie. Si elle ne résout pas ces problèmes moraux qui assiègent la pensée de l’homme, elle peut être une poésie ; elle n’est pas une religion.

Les solutions chrétiennes des problèmes humains, ce sont les dogmes. M. Guizot ne prétend pas faire un traité de théologie : il n’exposera donc pas tous les dogmes chrétiens. Il reconnaît d’ailleurs qu’une part humaine s’est mêlée à l’élaboration de ceux-ci. Le christianisme a eu ses pharisiens et ses sadducéens. M. Guizot même nous donne à entendre que, si nous n’étions pas dans une période de crise, il pourrait bien, lui aussi, dire ce que dans la théologie chrétienne il ne défend pas, il n’accepte pas ; mais il ne convient à aucun chrétien de toucher aux parois extérieures du temple lorsque les fondements mêmes sont ébranlés. Il ne parlera donc que des dogmes essentiels, c’est-à-dire de ceux qui sont communs à tous les chrétiens. Ils sont au nombre de cinq, la création, la providence, le péché originel, l’incarnation, la rédemption. Ce qui caractérise ces dogmes pour M. Guizot, c’est d’être des explications, des solutions. Le dogme de la création explique l’origine du monde et l’origine de l’homme. La providence explique l’instinct et le besoin de la prière, cet instinct si universel de l’humanité. Le péché originel explique le mal. L’incarnation et la rédemption expliquent le mystère de notre destinée. Par ces dogmes, l’homme sait d’où il vient, où il va ; il sait ce qui le détourne du chemin du salut et ce qui l’y ramène. Le système est grand, complet, bien lié et puissant. Voyons maintenant s’il est vrai.