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chose. Ce n’est pas seulement la science, c’est la réalité au-delà du monde fini qu’elle conteste ; selon elle, ce n’est pas l’inconnu qui est au-delà de cette limite, c’est le néant. Quand elle fait à ce néant l’honneur de l’appeler l’inconnu, c’est par complaisance et respect humain. Le matérialisme est le fond des idées de cette école, et quand elle ne se dit pas matérialiste, c’est qu’elle est inconséquente ou pusillanime.

« J’affirme au contraire : 1° que, si les limites du monde fini sont celles de la science humaine, elles ne sont pas celles de la réalité ; 2° que l’homme porte en lui-même non-seulement des désirs et des ambitions, mais des instincts et des notions qui lui révèlent des réalités au-delà du monde fini, et que, si l’homme ne peut pas avoir la science de ces réalités, il en a la perspective ; 3° que, sous l’impulsion et le légitime empire de cette perspective, l’homme poursuit dans sa vie intellectuelle la connaissance de ces réalités, qu’il ne peut que reconnaître, comme il poursuit dans sa vie pratique la perfection morale, qu’il ne peut atteindre.

« Je ne désarme donc point l’école spiritualiste dans ses efforts pour prouver, comme vous le dites, l’existence d’un ordre invisible. Cette noble école poursuit et saisit l’existence du monde invisible ; ce qu’elle ne peut atteindre, bien que ce soit son honneur de le poursuivre, c’est la science de l’ordre invisible.

« N’est-ce pas ce que vous dites vous-même quand vous dites : « Je ne crois pas ma pensée adéquate à l’essence des choses ? » Il n’y a de science que là où la pensée est adéquate à l’objet qu’elle étudie, quand il y a connaissance effectivement et possiblement complète et claire des faits et de leurs lois, de l’enchaînement des causes et des effets ; à ces conditions seulement, la science existe, et l’esprit scientifique est satisfait. Permettez moi de vous renvoyer à la quatrième méditation (les Limites de la science, p. 130-140), La notion de science n’y est pas étudiée et définie ; mais le sens que j’y attache est celui que je viens d’indiquer, et qui est, je crois, pour les philosophes comme pour le public, son vrai sens.

« J’ai reproché aux systèmes philosophiques non leur éternelle opposition, mais leur éternelle similitude. Les quatre grands systèmes dans lesquels se résument tous les autres se rencontrent aux débuts de la philosophie, et se reproduisent dans tout le cours de son histoire, toujours les mêmes au fond, quelle que soit la variété des développemens et le plus ou moins de perfection de la forme. Cette immobilité prouve à la fois les lumières primitives que l’esprit humain a reçues et les limites de son travail scientifique.

« Je ne saurais admettre la parité que vous établissez entre l’opposition des systèmes philosophiques et celle des religions. Les systèmes philosophiques sont essentiellement divers et opposés. Toutes les religions ont un fond commun, la croyance au surnaturel, quelque divin et