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la Russie, qui ne l’aimait point ; il résista bientôt et à la Russie, dont il se défiait, et à la Turquie, dont il était l’obligé, et à l’Autriche, qu’il avait soutenue naguère contre les Hongrois. Pendant toute l’année 1853, au moment où la Russie et la Turquie se préparent à la lutte, le prince Kara-Georgevitch, malgré toutes les obsessions en sens contraire, maintient résolument la neutralité du pays serbe. C’est l’Autriche d’abord qui, aux approches de la guerre, conçoit le projet d’occuper militairement la Serbie et tâche d’amener le prince à cette idée : la Serbie entière proteste, et l’Autriche recule (juillet 1853) : puis c’est la Russie qui s’efforce d’associer le prince Alexandre à ses intérêts, le menaçant, s’il résiste, d’une révolution populaire et du retour des Obrenovitch : soutenu par la diplomatie française à Constantinople, le prince dédaigne ces menaces. Plus tard, c’est la Porte-Ottomane qui veut l’engager sous sa bannière ; le prince sait que la Serbie veut rester neutre, il obéit à sa consigne. Le 28 octobre 1853, le jour même où Omer-Pacha traverse le Danube à Vidin et se dirige contre les Russes, qui ont envahi les principautés roumaines, le sultan somme le prince de Serbie de s’expliquer sur la conduite qu’il prétend tenir dans le conflit qui commence. On connaît la réponse de Kara-Georgevitch. « Le gouvernement serbe ne saurait prendre part à la lutte qui a éclaté entre les deux puissances protectrices de la Serbie. Il observera la plus stricte neutralité, et dans aucune occasion, sous aucun prétexte, ne permettra qu’un corps d’armée, à quelque parti qu’il appartienne, viole les frontières de son territoire. » La lutte grandit, chacun prépare ses armes ; le 27 décembre, le sultan Abdul-Medjid abolit le protectorat de la Russie sur la Moldavie, la Valachie, la Serbie, en maintenant tous les privilèges des trois principautés. Cet acte, qui modifie si profondément les conditions politiques de la Serbie, cet acte peut-être indifférent aujourd’hui, peut-être dangereux demain, comment les Serbes le jugeront-ils ? Ils remercieront les Turcs et feront leurs réserves. Le 4 février 1854, un commissaire de la Porte, Éthem-Pacha, étant venu apporter à Belgrade le hatti-chérif du 27 décembre, le prince fit solennellement la réponse que voici : « La confirmation des privilèges de la Serbie est acceptée avec reconnaissance ; toutefois la Serbie désire le maintien des traités turco-russes de Bucharest, d’Akermann, d’Andrinople, et elle est bien résolue à conserver la position que les traités lui assurent Vis-à-vis de la Russie comme vis-à-vis de la Porte. »

Cette persistance dans une politique aussi honnête que ferme est un titre d’honneur pour le gouvernement du prince Kara-Georgevitch. Les Serbes en furent récompensés. Lorsque les plénipotentiaires des grandes puissances signèrent à Paris le 30 mars 1856 le traité qui mit fin à la guerre d’Orient, les conquêtes de