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continent reproduisaient à l’envi les discours des membres de l’opposition, où la situation était peinte sous les plus noires couleurs. Les embarras de la politique anglaise y étaient révélés, commentés, amplifiés même parfois pour les besoins de la polémique quotidienne, et les ennemis de l’Angleterre triomphaient de ces révélations. Rien n’égalait alors la rage d’Elliot contre ces orateurs indiscrets, et dans ces momens-là il aurait fait volontiers bon marché des vieilles franchises et libertés de sa patrie. Il ne faut pas oublier que, la Grande-Bretagne offrant alors le spectacle unique en Europe d’un gouvernement dont les affaires étaient publiquement discutées, cette particularité glorieuse condamnait Elliot à une sorte d’infériorité vis-à-vis de ses collègues en diplomatie. Aussi ne faut-il pas trop s’étonner s’il expliquait le langage de l’opposition par l’ardeur aveugle de gens du dehors (outs) qui voudraient bien être gens du dedans (ins). Il ne se doutait guère qu’aux yeux de l’histoire les efforts patriotiques de cette même opposition transformeraient presque en une période de gloire cette période de revers, et que la postérité oublierait les faiblesses de North et les défaites de Burgoyne pour ne plus se rappeler que les discours des Burke, des Fox, des Chatham.

Elliot ne savait pas seulement opposer à la joie triomphante des ennemis de sa nation l’attitude impassible, d’un homme qui excellait à ne rien laisser paraître sur son visage de ce qu’il éprouvait au fond de son cœur. Quand on le serrait de trop près, il devenait agresseur à son tour, et par la vivacité de ses ripostes faisait souvent repentir ceux qui l’avaient provoqué. Qu’à la nouvelle du traité conclu entre le gouvernement de Louis XVI et les colonies d’Amérique un Français mal appris vînt lui dire avec un rire méprisant : « Voilà un fameux soufflet que la France donne à l’Angleterre, » Elliot le frappait en plein visage, et ajoutait tranquillement : « Voilà le soufflet que l’Angleterre rend à la France. » Qu’un Prussien officieux s’inquiétât devant lui du renfort que cette alliance apportait à l’Amérique et de l’abaissement que ferait éprouver à l’Angleterre l’établissement d’une grande puissance indépendante de l’autre côté de l’Atlantique, Elliot ne se troublait pas et répondait : « Le pis qui puisse nous arriver, c’est de n’être plus que la seconde puissance du monde après avoir été la première. » Et la Prusse, quel rang cet orgueilleux Anglais lui assignait-il donc ? Parfois même Elliot avait à porter plus haut ses coups. Alors que les hostilités étaient imminentes entre la France et l’Angleterre, la reine, personne ordinairement bien inoffensive, s’étonnait avec insistance qu’il eût osé revenir de Londres en passant par Paris sans crainte d’y être arrêté. « Oh ! madame, disait négligemment Elliot,